Tiphaine Calmettes | Les mains baladeuses

« Il se passera certainement, au cours de l’exposition Les mains baladeuses, une scène mystérieuse qui se répétera à plusieurs reprises : des visiteurs, au lieu de flâner mollement, le buste libre de toute contrainte, le regard dirigé vers les murs ou le sol, serpenteront chez Arnaud Deschin le visage embrumé adhérant à un inhalateur de plastique. Au commencement des repas qu’elle entend organiser, Tiphaine Calmettes souhaiterait que les “regardeurs” se muent, le temps d’un prologue, en respirateurs. (...) Les repas, qui forment le point de départ du projet de l’artiste, organisés en collaboration avec la chef Virginie Galan, héritent d’une vaste tradition de l’art de la seconde moitié du XXe siècle, Daniel Spoerri en tête. Mais le caractère pantagruélique et joyeusement décadent de certains repas du “chef Daniel” sont bien éloignés des dégustations de Tiphaine Calmettes, pendant lesquelles on ne s’empiffrera guère : l’inhalation d’armoise évoquée plus haut introduit plutôt une interrogation sur les plantes sauvages urbaines déclinée en différents plats – mousse de pissenlit, racines fumées, beignets de lichens, gaspacho lobulaire, chartreuse en coque de noix et autres appellations éminemment poétiques. Cueillies lors d’explorations parisiennes, ces plantes appellent plus à une sorte de rituel sacré au cours duquel l’inhalation transforme la mise en bouche en mise en nez. (...) Pour celles et ceux qui ne pourront participer à ces repas, l’exposition s’organise comme un rappel de ces possibles expérimentations gustatives, et offre elle aussi son lot de sensations épidermiques : si le goût n’est plus convoqué, l’odorat se voit chatouillé par la compagnie imposante d’un alambic produisant tout au long de la journée un gargouillement régulier, signe de la production en cours d’une eau florale naturelle. La table utilisée pour les repas est présentée séparée de ses tréteaux, et développe une mousse dont on ne peut discerner si elle est la moisissure désolée d’une ruine abandonnée ou au contraire un renouveau fourmillant de jeunes pousses désireuses de s’étendre. Peut-être les deux à la fois, car Tiphaine Calmettes aime cultiver l’ambiguïté. (...) Pour cette exposition, l’artiste propose un espace de réflexion, dans lequel l’arpentage des friches urbaines et la cueillette de leurs plantes comestibles ou médicinales, sont d’abord des gestes micropolitiques. Les mains baladeuses, ce sont ces mains capables de piquer, de gratter, de pincer, de racler, d’offrir mais aussi de serrer le poing. » Camille Paulhan, historienne de l’art. Visuel : Faits Relatés #1, Environnement, Tiphaine Calmettes, 2017.