Vidéoformes 2019 : Retour aux sources et projections pour le futur

Au croisement des arts plastiques, de la vidéo et des arts numériques, le Festival Vidéoformes de Clermont-Ferrand n’est pas celui des générations « digital natives », il est le rendez-vous annuel qui les reconnecte avec leurs aïeuls, avec les artistes qui en font l’histoire, et invite, dans le même temps, l’industrie des nouvelles technologies à sérieusement s’interroger sur les limites de ses schémas de pensée. La manifestation célèbre cette année ses 34 ans.

Ce qui me manque, Isabelle Arvers.

Du 15 au 17 mars, la maison de la culture de Clermont-Ferrand se fait Digital Lounge – pour visionner, flâner ou boire un verre… Et accueille cette année une importante sélection de projets de réalité virtuelle ou d’immersion à 360 degrés, dont une des toutes premières fictions VR au monde, un thriller psychédélique de 55’ de Vincent Ravalec (Fan Club). Le bunker se transforme en cinéma permanent, ouvert à tous les publics et à toutes les formes de construction d’images et de sons, avec 44 films en compétition retenus parmi 480 reçus depuis 47 pays. L’expérience sonore, tendance électro expérimentale ce vendredi soir avec une création du binôme d’artistes Imaginary Systems (Golnaz Behrouznia et François Donato), ancrés dans une relation Art & Science, se fera intense et noisy samedi, si l’acoustique des lieux répond aux diaboliques câblages dont Annabelle Playe vient de nous donner un échantillonnage le week-end dernier au centre Plateforme, à Paris, sur les images d’Hugo Arcier créées à partir d’une surface 3D audio réactive. A découvrir aussi Moments, ou les interactions entre le vidéaste français Maotik (Mathieu Le Sourd) et les singuliers paysages électroacoustiques du compositeur argentin Nicolás Melmann, mixés à partir de minuscules percussions, le son de la flûte, de la harpe de verre, du tambour, de la lyre ou du guzheng !

Pièce signée Agnès Guillaume.

Jusqu’au 30 mars une exposition de près d’une douzaine d’installations plastiques, disséminées dans la cité du pneu, met en regard le TV Buddha de Nam June Paik avec des productions inédites, dont celles du binôme Imaginary Systems, les visions adolescentes de Kika Nicolela, ou les portraits de gestes d’Agnès Guillaume, tous accueillis en résidence à Clermont-Ferrand, tandis que d’autres artistes plus confirmé(e)s, telles que Regina Hübner avec Loving ou Tania Mouraud avec Pandémonium, ont également soumis de nouvelles pièces. Associée à la manifestation, la galerie Claire Gastaud accueille (jusqu’au 30 mars) pour sa part l’artiste Delphine Gigoux-Martin, dont nous suivons depuis longtemps les variations dessinées, image par image, sur le thème de la nature et de l’animalité.
Créé il y a 34 ans par des étudiants, dans le sillage du Festival international du court métrage, Vidéoformes est d’abord une plate-forme vidéo de diffusion et de veille internationale relayant toute l’année la diversité des écritures, des formats et plasticités de l’image numérique, mais aussi des engagements artistiques, de leurs auteurs. Y sont attendus l’inconditionnel Bob Kohn, dont l’ironie et l’empathie s’expriment avec la plus grande sensualité, John Sanborn, humaniste utopique, Jérome Lefdup, explorateur impénitent du motif psychédélique, ou encore l’adoubée Momoko Seto, visionnaire inquiète mettant en garde la planète par d’apocalyptiques débordements de matières organiques en pleine déliquescence. Une autre expérimentatrice, Isabelle Arvers, commissaire et coordinatrice d’expositions-colloques sur l’impact géopolitique des nouvelles technologies, qui introduisait notamment des portraits de migrants dans des machinimas documentaires, détourne ici le moteur du jeu Moviestorm dans des explorations plus abstraites révélant d’intenses associations de couleurs (à contempler à l’Espace | Z∆ 0UΠ).

La Mesa (arrêt sur image vidéo), Adrian Garcia Gomez, 2018. Film présenté en compétition.

Toujours dans le cadre du festival, la galerie Dolet, du Crous, montre, jusqu’au 30 mars, des films réalisés par des étudiants issus des écoles d’art ou de design d’Aix-en-Provence, de Lorraine, de Nancy ou de Jérusalem. Le rendez-vous annuel des artistes vidéastes et plasticiens « bidouilleurs » d’images a en outre su conserver sa convivialité originelle de ciné-club, enrichi d’une émission, Vidéoformes TV by Kinic, diffusée en streaming sur Youtube et sur les réseaux sociaux à la pause déjeuner, alors que des débats et discussions dès le vendredi soir, exhortent les laboratoires des grandes entreprises à se rapprocher des artistes et à s’enrichir de leurs visions face à la catastrophe naturelle annoncée. Sollicitée par Gilles Coudert et Jean-Jacques Gay, auteurs-réalisateurs de la Commission des Ecritures et Formes Emergentes de la SCAM (Société Civile des Auteurs Multimédias), la plasticienne Tania Mouraud, qui place l’Anthropocène au cœur de sa recherche – de Once Upon a Time (2011) à Fata Morgana (2016), en passant par Face to Face (2009), Ad Nauseam (2014) ou encore sa nouvelle installation vidéo Pandémonium (2019) – animera, à l’Espace municipal Georges Conchon, un débat questionnant l’action artistique comme objecteur des inconsciences politiques et nécessaires moteurs d’autres réalités possibles. Parmi les invités, Nicolas Beaumont, directeur Développement et Mobilité Durables chez Michelin. Dans la matinée du vendredi, un autre volet de discussion consacré aux modifications du corps a abordé, d’un point de vue anthropologique, l’usage des nanotechnologies. Comment est-il perçu par les artistes ? comment articuler tatouage, puces et implants avec l’identité et les extensions virtuelle d’un sujet ? Y étaient confrontés les points de vue d’un tatoueur (Olivier Poinsignon), d’un médecin psychiatre (Pierre-Michel LLorca) et d’un artiste Pierre Amoudruz (directeur artistique d’AADN Lyon, structure engagée dans les arts et cultures numériques).
Pour l’heure, rendez-vous est donné à l’espace d’accueil de la Maison de la culture de Clermont-Ferrand, salle Chavignier, de 9 h à 23 h. Et pour ceux qui hésitent encore à s’aventurer au centre de ce que les géographes nomment, à tort, la Diagonale du vide, le catalogue de l’exposition 2019 est déjà en ligne !

Contact

Le Festival Vidéoformes se tient jusqu’au dimanche 17 mars à Clermont-Ferrand. Le programme completLes expositions sont à découvrir jusqu’au 30 mars.

Crédits photos

Image d’ouverture : Performance signée Maotik  © Maotik – Ce qui me manque © Isabelle Arvers – © Agnès Guillaume – La Mesa © Adrian Garcia Gomez

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