Montrer, éditer, publier, diffuser est le credo de Corridor Eléphant qui, chaque année, sort une douzaine d’ouvrages et met en ligne plus de cent cinquante expositions. Tout au long de l’année, ArtsHebdoMédias vous invite à entrer dans un univers auquel notre partenaire a consacré un livre. Aujourd’hui, nous vous proposons de tourner les pages de Lentement, tombe le soleil d’Elise Rochard. Interview.
L’équilibre fragile de Lentement, tombe le soleil que nous offre Élise Rochard surprend autant qu’il imprègne le regard. Pas de légèreté, mais une forme d’évanescence prête à nous égarer jusqu’à ce qu’au fil des pages l’écriture de lumière fasse récit. Il y a ici autant d’émotions que de couleurs, qui, comme les cadrages ou les profondeurs de champ, sont d’une profonde justesse.
Corridor Éléphant. – Que raconte votre livre ?
Élise Rochard. C’est une vision poétique de la maladie d’Alzheimer que j’ai voulu travailler puisque mes deux grands-mères en étaient atteintes. Je raconte l’histoire de la personne malade qui peu à peu, confond, se perd, parfois se remémore les souvenirs anciens avant de replonger dans le noir. Cette série sur la dégénérescence cérébrale entraîne le spectateur avec le malade dans la perte de repères spatio-temporels. La lucidité s’éloigne irrémédiablement, les époques, les lieux, les gens se mélangent et l’angoisse creuse lentement le gouffre de la solitude.
Comment l’avez-vous construit ?
J’ai voulu aborder la question de la dégénérescence cérébrale sous la forme de photographies de paysage principalement, la lumière guidant la construction du livre. Parfois, l’on peut voir surgir des fragments de corps mais aussi des bribes de souvenirs anciens, la mémoire récente étant totalement effacée dans cette maladie. Le soleil peu à peu se couche, la brume envahit l’espace et enfin, la nuit éteint les dernières étincelles. J’ai construit ce récit en m’imaginant dans la tête de la personne malade qui chemine dans des paysages qu’elle croit reconnaître mais qu’elle n’arrive pas à raccrocher à son présent. Je montre comment de manière irréversible le vide l’accable, jusqu’à ce qu’elle ne se reconnaisse plus elle-même.
Pourquoi avoir choisi le médium photographique pour traiter le sujet ?
Mes images sont symboliques, je trouve la photographie intéressante du point de vue de la libre interprétation. Entre ce que l’on croit que le photographe a voulu dire, ce que l’on projette en fonction de ses propres expériences ou ce que l’on fantasme en hors-champ, c’est un art qui fait particulièrement travailler l’imagination. Si la photo est réussie, il y aura des dizaines d’interprétations différentes. Ce médium est de prime abord facile d’accès puisque nous vivons entourés d’images, mais lorsque l’on s’y penche, il implique notre sensibilité, notre personnalité tout entière. Une même image de paysage pourra évoquer des sentiments antinomiques chez deux personnes différentes et c’est ce qui me fascine.
Comment êtes-vous venue à la photographie ?
Mon grand-père et mon père m’ont transmis cette passion. Enfant je passais beaucoup de temps à regarder les albums de famille, à m’imaginer la vie de ces personnes que souvent je n’avais pas connues, comme une excursion à travers les lieux et les époques. Enfant, j’ai commencé à photographier mes voyages, à réaliser des albums. Je peignais certaines images de paysages dont j’avais apprécié l’atmosphère. Puis je me suis spécialisée dans la photographie lors de mes études d’arts plastiques.
Quel sont vos sujets de prédilection ?
Je dirais les frontières en général. Cela peut être les frontières visuelles comme le travail sur la lumière que j’ai réalisé à Tijuana – ville frontalière États-Unis/Mexique, Une vie sous les projecteurs –, des frontières sociologiques entre différents milieux sociaux – Identité(s); Marrakech, l’hiver –, des frontières entre des mondes réels et fantastiques – Quelque chose a toussé ; Tenez-vous près – ou entre différentes temporalités selon la condition mentale –Apparences du temps; Lentement, tombe le soleil.
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Image d’ouverture> Série Lentement, tombe le soleil. ©Elise Rochard