La vie est une danse par Olivier Kaeppelin

S’il est difficile de changer le monde, il est toujours possible d’en inventer un nouveau. Ainsi pense Olivier Kaeppelin. Cet inlassable curieux des arts et des lettres est essentiellement un homme de conviction. Ainsi le prouve sa trajectoire professionnelle. Que ce soit au ministère comme délégué aux arts plastiques, à France Culture comme directeur adjoint ou à la tête de la Fondation Maeght, il n’a eu de cesse de défendre la création contemporaine tout en vouant une admiration sans réserve à certaines œuvres du passé. Pour lui, la beauté n’est pas tant une histoire de formes statiques ou d’époque que de liens, d’expérience et de surprise. Non seulement l’œuvre d’art modifie l’espace qu’elle habite mais peut aussi révolutionner la pensée de chacun. Quant à l’artiste, c’est lui qui fait l’histoire de l’art et non l’inverse. A la fois grave et amusé, Olivier Kaeppelin se figure tout en mots. « Je ne suis pas un critique. Avant tout un écrivain, qui a enseigné la littérature et l’art, même si j’ai souvent été appelé à occuper d’autres fonctions. » D’expositions en conférences, il cultive son goût pour le partage et le dialogue. Du titre de curateur, il se méfie car trop souvent employé pour s’ériger en créateur. Seule compte la capacité à réunir les conditions d’expression et de réception de l’œuvre. S’il n’est pas animiste, l’esthète croit en la présence et en l’énergie de cette dernière. « Tout à coup, une peinture, une installation, entre en résonance avec celui qui la regarde et transforme sa manière de voir, de comprendre. Cette création de sens, en marge de la science, de la littérature, à travers des formes, des rythmes, des tensions, fait que le monde redevient vivant. Quand l’artiste réussit, on assiste au retour perpétuel du vivant », affirmait-il à ArtsHebdoMédias en 2014. Autre temps, autres confidences. Voici le Jeu des mots d’Olivier Kaeppelin.

Enfance

Olivier Kaeppelin.

« Elle est essentielle. Même si Freud avait raison en partie et dans d’autres domaines, je préfère écarter pour l’heure son système d’interprétation des pulsions et des désirs pour associer au mot “enfance”, ceux d’innocence, de générosité, de surprise et de curiosité. Ces valeurs existentielles sont très importantes pour moi. L’innocence est une vertu et l’état d’innocence, une manière d’être qu’il faut absolument conserver. Je n’ai jamais de goût pour les gens qui exercent un rapport de sachant au monde, qui pensent que langage et savoir cumulés leur permettent de tout connaître. Ils ne s’interrogent jamais sur ce qu’ils ont devant les yeux ; sont incapables de douter de ce qu’ils voient. Chasser l’innocence et très vite vous pouvez être happé par tout ce que propose la société, depuis le calcul jusqu’au cynisme. L’innocence permet d’être abouché au monde. C’est à ce point qu’intervient la générosité, car toute compréhension est un trésor à partager. Ce serait terrible que chacun garde pour lui ses connaissances, ses principes, ses repères… et que tous, nous nous affrontions comme les pièces d’un jeu d’échecs ou de go. L’innocence doit absolument être liée à la générosité, car il faut être capable d’accepter l’apport de l’autre, d’admettre que certaines choses que l’on croyait siennes lui appartiennent aussi et d’avoir envie de cet échange. Quand j’ai commencé à mieux comprendre la vie, je me souviens avoir été très déçu de découvrir que la plupart des personnes, en devenant adultes, perdent à la fois cette ouverture à la surprise et cette faculté de curiosité. Quand ma fille était enfant, j’étais fasciné par tous ses moments de questionnement et de découverte. La curiosité considère la surprise avec bonheur, car elle a le pouvoir de tenir en éveil. Je regrette souvent que le monde l’ait tellement perdue. »

Figuration

Vue de l’installation de 21 toiles de Djamel Tatah présentée à la Biennale de Busan, en Corée, en 2014.

« Si l’on entend par figuration, l’activité philosophique de figurer, évidemment, c’est capital. Il est impossible de vivre sans être capable de se figurer avec l’aide du langage ce qu’est une table, un verre, un vase… Nous devons établir un lexique qui mette en relation une image et un sens. Mais cela ne m’a jamais suffi. Je me suis toujours méfié des images. Et à ce propos, l’art m’a permis de me forger quelques convictions ou croyances. En effet, la peinture m’a fait comprendre que ce qui était clairement figuré n’est jamais une image, mais toujours une abstraction. Que vous soyez devant un Füssli, un Khnopff, un Van Gogh ou, plus proche de nous, un Monory ou un Arroyo ou, plus proche encore, un portrait de Djamel Tatah ou un corps de Stéphane Pencréac’h, il n’est jamais question d’image et d’objet, mais toujours d’espace et de forme. L’art nous apprend que le cœur signifiant du réel n’est pas l’image, n’est pas ce qui est figuré, mais le mouvement qui nous relie à la figure. Face à celle-ci, nous voyons, ressentons, interprétons sans cesse. Tout à coup, la lumière change, un bruit se fait entendre… et le cycle reprend. Ce qui m’intéresse est cet échange incessant entre ce que nous imaginons être figuré et ce que nous éprouvons. C’est cela le réel de nos vies, un mouvement permanent, une relation interpersonnelle aux choses et aux êtres. Si d’un point de vue technique, nous pouvons reconnaître un visage, ce dernier ne se résout pas à l’image de lui-même. La figuration qui me captive est celle qui sait cela, qui ne me permettra jamais un “Oh mon Dieu ! Quel merveilleux paysage de montagne !” Je donne cet exemple à dessein, car il y a au Musée de Grenoble d’admirables peintures qui reproduisent avec maestria la lumière du matin sur un sommet ou la profondeur d’un glacier, mais ma préférence va sans réserve à un petit tableau dans les bleus noirs, peint sans précisions, figurant un lac ceint de rochers. Les couleurs s’y mêlent. Appartiennent-elles à l’air, à l’eau ou au minéral ? Impossible de répondre avec certitude. Cette figure peinte par Gustave Doré renaît constamment d’elle-même, dans une véritable genèse de la peinture à la vie. »

Ecriture

« Sans l’écriture, je ne sais pas comment je pourrais vivre. Je suis sans arrêt en train d’écrire, que ce soit sur un bout de papier, devant mon ordinateur, ou simplement dans ma tête ! Chez moi, l’écriture innerve le corps aussi sûrement que le sang. Cela se traduit au quotidien par une prise de notes constante. Je ne suis pas pour autant nominaliste. Je ne pense pas qu’il soit possible de comprendre le monde parce qu’on est capable de le nommer. S’il est possible de l’appréhender, c’est seulement grâce à l’abouchement lié à la générosité et à la curiosité dont nous parlions tout à l’heure. Le langage, quant à lui, sert à l’interpréter. Nous sommes tout le temps devant un réel sans langage mais qui en produit. Un tel balancement est peut-être à rapprocher de celui du gai savoir nietzschéen entre vérité et illusion. Imaginons que je veuille décrire exactement le quartier où nous sommes. Le nombre de détails à relater serait tel que l’exercice deviendrait irréalisable. Il faudrait donc pour en rendre compte que je me laisse aller au réel, c’est-à-dire au lien que j’entretiens avec ce qui nous entoure. Peut-être aurais-je l’idée de dépeindre cet étrange face-à-face entre les gris de la rue, des zincs ou des échafaudages et le rouge du store de cette brasserie ? Cela ne dirait rien du tout de la réalité, mais simplement du lien sensible que j’ai entretenu avec elle à un moment donné, c’est-à-dire au sein du réel. Le réel est une énigme que l’écriture permet plus ou moins de cerner. Par ailleurs, il est difficile de parler d’écriture sans évoquer la lecture. Je suis à la fois passionné et accablé de livres, qui encombrent mon espace. J’en achète un tous les deux ou trois jours pour le lire tout de suite ou plus tard, de la première à la dernière page ou par fragment. Ecriture et lecture sont indissociables. »

Désert

Vue de l’exposition de Liu Shangying sur le plateau d’Alashan en Mongolie chinoise, 2018.

« Ma première pensée va à l’exposition que j’ai réalisée l’an dernier sur l’œuvre de Liu Shangying sur le plateau d’Alashan en Mongolie chinoise (notre photo d’ouverture). Montées sur des armatures de fer, les peintures à huile de ce formidable artiste ont été exposées au soleil, au vent comme au sable. Vision incroyable que ces œuvres tenant tête au désert. Ce mot me ramène aussi à mes 20 ans, quand j’ai remonté le Nil de Khartoum jusqu’au Caire et traversé le désert d’Egypte. Si toutes ces géographies peuvent être fascinantes, je préfère tout de même vous parler d’un autre désert beaucoup plus symbolique et pour lequel j’ai une véritable attirance. Un lieu imaginaire, espace de silence et de simplicité, dans lequel je me retire pour tenter de m’apaiser. La pensée concernant l’injustice que la société produit me bouleverse, me révolte. Je rêve souvent d’une justice immanente. L’arrogance de certains, les jeux de pouvoir, les organisations sociales, en général, m’incitent à me tenir à l’écart mentalement mais aussi physiquement. Il y a fort longtemps, avec des amis, nous avons acheté une maison à Volvent, près de Saint-Nazaire-le-Désert, dans la Drôme. Après la guerre, 400 personnes vivaient dans le village à l’année. Aujourd’hui, ils doivent être une dizaine. Le paysage s’est désertifié, mais je n’ai jamais pensé me départir de cet endroit magnifique de cailloux et de lavande. Longtemps, je n’ai pas pu m’y rendre comme je le souhaitais. Désormais, j’y séjourne plus souvent. Isolé et bien. »

Exposition

Vue de l’exposition d’Yves Zurstrassen, placée sous le commissariat d’Olivier Kaeppelin et présentée au Palais des beaux-arts de Bruxelles jusqu’au 12 janvier 2020.

« L’exposition est un moment formidable de rencontre entre une œuvre et un public. Quelles qu’aient pu être mes obligations, j’ai toujours trouvé du temps pour m’y rendre. Découvrir un tableau, une sculpture, une vidéo… jusque-là inconnus et en parler, c’est magnifique ! Ce goût pour l’exposition s’amplifie quand, aux côtés de l’artiste et de l’œuvre, on l’organise. Réfléchir pendant des mois, faire des plans, se poser des questions pour aboutir à faire vivre ensemble des œuvres est quelque chose de passionnant. Des oppositions éclatent, des harmonies se créent, des salles tremblent ! De nombreux souvenirs surgissent comme dans Espace, Espaces !, une sorte de déploiement de la joie dans l’art, ou Est-ce ainsi que les hommes vivent ?, titre emprunté à Aragon, réflexion sur l’œuvre comme tentative de compréhension de l’homme. Deux expositions imaginées pour la Fondation Maeght. Il y a deux ans à Venise, nous avons passé des heures à imaginer l’installation des sculptures diaphanes en papier de Claudine Drai. Je cherchais à les situer au plus juste, à trouver les espaces exacts, pour qu’il n’y ait pas une norme qui vienne bêtement s’imposer. Quand une œuvre refuse la proposition que vous faites, elle passe de l’être à l’existence. Ce que vous avez pensé pendant des semaines peut ne pas fonctionner ! Il faut alors inventer de nouveaux liens. Cela peut prendre quelques minutes comme une nuit entière ! Cette relation aux œuvres est passionnante. Elle est à la fois mentale et physique. Dans Le Monde désert de Pierre-Jean Jouve, il y a un écrivain qui s’appelle Luc. La description qui en est faite laisse entendre sa solitude mais, peu à peu, le lecteur comprend qu’il est en train d’écrire. Le personnage soliloque et exprime ses sentiments. Quand l’écriture vient comme un flux, il est accaparé, traversé. Il revit et ressent alors une forme de souffle, de “cri” en lui. Même si faire une exposition n’est pas une pure création comme l’écriture, ce qui est ressenti quand cela fonctionne est de l’ordre de la jubilation. Etre curateur, c’est accompagner, comprendre, éclairer une création, être dans son mouvement. C’est une responsabilité terrible que de l’interpréter tout en y étant fidèle. Toute proportion gardée, je suis à peu près dans le même état que Luc à ce moment-là. Une vie s’empare de moi. Quand une salle est terminée et que vous avez le sentiment d’avoir réussi à faire passer la quintessence vitale des œuvres sans les avoir trahies, c’est un grand moment de bonheur. »

Légèreté

« C’est capital ! S’il ne faut jamais être léger par superficialité ou désinvolture, il est nécessaire de cultiver l’esprit de légèreté. La vie est une danse, un mouvement. Il est donc impossible pour l’homme de ne s’adonner qu’à la gravité qui va l’emporter dans la tombe. J’aime bien penser à l’anglais où le mot grave désigne cette dernière. L’esprit de légèreté est souvent spirituel et parfois corporel. On peut certes danser avec les loups, mais aussi simplement en esprit ! Dans mon quotidien, les responsabilités officielles m’ont parfois obligé à me prendre au sérieux. L’esprit de légèreté m’a sauvé ! Chaque fois, il revient comme un petit refrain entêtant, se transforme, devient les merveilleux nuages de Baudelaire… C’est un très bon conseiller. Même s’il n’est pas certain que nous puissions toujours l’avoir en tête. Car son pendant, la gravité, est parfois nécessaire. Quand autrui est en jeu, par exemple, en péril. »

Venise

Vue nocturne du quartier du Dorsoduro, à Venise.

« C’est d’abord une ville dans laquelle je me suis souvent rendu et aussi une idée de la beauté. Particulière, non emblématique. Venise n’a pas la prétention de Rome. Elle ne fait pas monument. Sa beauté est complexe, secrète, mouvante, jamais glorieuse, toujours labyrinthique. Et puis, il y a la présence constante et souvent menaçante de la mer, la lagune avec ses odeurs, l’humidité s’immisçant jusque dans les vêtements des promeneurs, d’énormes bateaux rappelant le large… La vulnérabilité de Venise me touche beaucoup. Sa qualité de vigie, encore plus. Pour moi, Venise n’est pas endormie. Elle veille, toute en nuances, en balancements et en mystères. J’aime par-dessus tout m’y promener la nuit, quand il devient difficile de distinguer l’ombre de l’eau. Et puis, il faut évoquer ses trésors, qu’ils soient signés le Tintoret ou Bellini. C’est là que j’ai découvert Sebastiano Mazzoni, dont on ne connaît qu’une vingtaine de tableaux. Il était aussi architecte et poète. C’est à lui que nous devons le palais aux 13 fenêtres visible depuis le Grand Canal. De sa peinture… je parlerais des heures ! Mais à Venise, on peut déjà, au Palazzo Albrizzi, admirer La roue de la fortune. Un invraisemblable ange flotte en haut de la peinture tandis que des humains tentent d’échapper à l’infortune. Un des personnages porte la roue qui symbolise le changement lié à l’apprentissage de la connaissance. Chaque plan est transparent et ensemence les autres. Le monde apparaît comme un réel flottant, un entre-deux. C’est terriblement énigmatique et vivant ! Les nuages, la végétation, l’architecture, les êtres se pénètrent mutuellement jusqu’au ciel. C’est le cosmos dans son entier que Mazonni nous livre. Si Venise raconte ainsi une magnifique histoire de la peinture, elle est également pour moi le lieu où j’ai découvert tant d’œuvres d’art moderne et contemporain, des œuvres devenues des passions. Je me souviens de mon émotion devant le travail d’Enzo Cucchi ou de Sigmar Polke, par exemple. Mais aussi d’avoir vu des artistes que j’estimais et aimais y exposer comme Fabrice Hyber, Jean-Pierre Raynaud, Jean-Pierre Bertrand, Huang Yeu Ping et Sophie Calle. Autre très beau souvenir : la série d’événements que j’ai organisés autour d’une exposition réalisée par Jean de Loisy. J’avais appelé cela “Etudes pour le secret” et concocté un programme d’installations, de lectures, de théâtre, de danse… Je me souviens de la présence de Jean Baudrillard et de celle de Jean-Louis Schefer. Il y avait aussi une extraordinaire œuvre sonore d’Eric Samakh en lien avec la guerre des Balkans qui se déroulait alors. Vous comprenez qu’il m’est impossible de dresser un inventaire fidèle. Trop de moments se font jour y compris ceux de ma vie intime. Venise est indissociable d’histoires amoureuses, d’aventures heureuses et malheureuses avec des femmes que j’ai aimées. »

Culture

Détail de l’exposition de Claudine Drai, présentée à Venise en 2017.

« Je crois qu’il faut associer d’emblée “culture” et “vivant”. La culture est une manière, en passant par l’art ou la science, d’accéder au vivant grâce à toutes les connaissances que d’autres que soi ont accumulé par une suite d’expériences. Mêmes contredites, ces dernières appartiennent à la culture et sont formatrices de ce que nous sommes. Evidemment, la culture passe par un apprentissage, la formation de soi-même. Je préfère 100 fois le mot “culture” au mot “savoir”, qui sous-entend l’existence d’un corpus figé à capitaliser. Même si ma culture doit énormément à ce que j’ai appris durant mes études, elle doit plus encore à l’art et à la vie. L’ensemble forme un foyer vivant, qu’il faut se méfier de ne pas fossiliser. La culture nous pousse constamment à la rencontre d’un livre, d’une personne, d’une expérience, de domaines éloignés des nôtres. C’est toujours très étonnant de remarquer que tout ce qui est porté à notre connaissance prend sens un jour ou l’autre. Aucune curiosité n’est vaine. La physique quantique, par exemple, m’apprend beaucoup. J’établis des correspondances entre sa conception de la matière et certaines démarches artistiques. Parlons du sculpteur Vladimir Skoda. En l’écoutant me parler de son travail, je me suis demandé s’il se rendait compte qu’il énonçait en partie la théorie sur les trous noirs ou la matière noire. Puis, la discussion suivant son cours, l’artiste précisant son appréhension de la lumière, je lui ai demandé s’il connaissait Etienne-Louis Boullée. Il y avait me semble-t-il un intérêt à se pencher sur la manière dont l’architecte utopiste utilisait l’espace, l’architecture et les ombres. Ainsi de suite. Quand la culture est vivante, elle passe son temps à jeter des ponts. C’est un grand bonheur. »

Provocation

« La provocation a son importance, si toutefois elle n’est ni gratuite ni lancée pour se faire valoir, si elle n’est pas une stratégie de buzz. Se déclarer provocateur peut permettre d’exister mais ne mène pas à grand-chose en dehors de flatter son propre ego. En revanche, provoquer peut être un exercice de l’esprit, une méthode pour débusquer ou dénoncer une chose ou une autre. Dans ce cas, la provocation est un indispensable aiguillon. Pour ma part, je l’ai toujours pratiquée quand elle était nécessaire, soit à travers les propositions faites par des artistes participant à des expositions que j’organisais, soit en y ayant recours personnellement. Dans tous les cas, il faut prendre garde à ne pas provoquer inutilement avec une attitude dure et blessante. Toute provocation se doit de prendre la forme d’une maïeutique, de permettre une percée dans les nuages. C’est un excellent outil pour se déplacer, avancer, changer. Certains artistes le manient très bien. Citons pour exemple Gasiorowski, qui ne s’attardait jamais à ce qu’il savait faire. Là où nous pensions découvrir de merveilleux tableaux, il nous montrait de petits dessins griffonnés ou des sculptures réalisées avec ses propres excréments ! Une saine provocation aiguillonne forcément. C’est rare qu’un artiste que j’aime n’en n’use pas. Je pense aussi à Daniel Pommereule, à Louise Bourgeois. Etre totalement dans l’admiration de la beauté et en jouir peut m’arriver. Disons… devant certains Caspar David Friedrich, Monet, Joan Mitchele et Eva Hesse. »

Liberté

Olivier Kaeppelin avec Sanhong Deng (à gauche), l’une des organisatrices de l’exposition de Liu Shangying (à droite) sur le plateau d’Alashan.

« C’est un mot très compliqué, très paradoxal. La philosophie l’a bien montré. Je crois avoir toujours essayé de respecter, autant que faire se peut dans une organisation sociale, le chemin étroit de la liberté. Cela a toujours beaucoup compté pour moi. Etre libre est un apprentissage de tous les jours, qui implique une manière de penser. Il faut être très vigilant pour la préserver. Vous connaissez le précepte : “La liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres”. L’existence serait invivable si nous n’essayons pas de nous y conformer. Mais la liberté peut aussi être très douloureuse. La sienne, quand elle blesse autrui, celle de l’autre, quand elle vous blesse. J’ai toujours fait attention que cet exercice essentiel de la liberté ait une dimension morale, éthique. Et parfois, j’y ai renoncé parce que je sentais la souffrance, le désagrément, ou l’aliénation d’autrui. La liberté est toujours une réalité en relation avec un autre pôle. Nous ne sommes libres que par rapport à quelqu’un ou à quelque chose. Etre libre et seul dans le monde, cela n’existe pas. Ou alors l’espace d’un court moment. Reconnaître ou ressentir le sentiment de liberté est une merveille. Mais vivre la liberté n’est pas si facile. »

Crédits photos :
Image d’ouverture : Lors de l’exposition de Liu Shangying, en 2018, sur le plateau d’Alashan, en Mongolie chinoise © DR – Portrait d’Olivier Kaeppelin © DR – Vue de l’installation de 21 toiles de Djamel Tatah © Djamel Tatah, photo O. Kaeppelin – Vue de l’exposition de Liu Shangying © Liu Shangying, photo O. Kaeppelin – Vue de l’exposition d’Yves Zurstrassen © Yves Zurstrassen, photo Yannick Sas – Vue de Venise © Photo O. Kaeppelin – Vue de l’exposition de Claudine Drai © Claudine Drai, photo MLD – Olivier Kaeppelin, Sanhong Deng et Liu Shangying © DR

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