Francesca Caruana, la Méditerranéenne

Avant tout regard, le titre retient l’attention. Baculum Plastik est une invention qui relie les mondes et les temps. L’œuvre ombilicale de Francesca Caruana ramène vers le cœur tous les flux et reflux d’une terre-mer nourricière. Depuis toujours, l’artiste privilégie le mouvement instinctif et l’extrême précision du geste. Au Musée de Bélesta, peintures et objets-sculptures explorent l’idée archéologique. Le naturel et l’artificiel, le vivant et le non vivant s’imbriquent pour tantôt faire naître l’effervescence des formes, tantôt des figures hiératiques. Toute l’« œuvre picturale, sculpturale et d’installations mêlées nous fait entendre le chant d’une fragilité humaine, où la vie côtoie la mort, l’ombre obscure la lumière des terres solaires », écrit pour débuter Hervé Fischer. L’exposition est à découvrir jusqu’au 30 avril et le texte de l’artiste-philosophe immédiatement.

Elle est née de la mer, de ses sables, des trésors et débris que ses vagues portent sur ses plages. La gestualité de sa peinture en dit les puissances et les abimes, mais aussi le flux et le reflux de sa surface, les navigations de sa vie entre Malte, le Maroc et Perpignan la catalane, l’ancienne capitale du royaume de Majorque, où elle s’est fixée.
Elle expose les « bois migrants » les os, pattes et plumes des oiseaux au long cours et les précieux messages maritimes et terrestres qu’elle ramasse au hasard nomade de ses explorations bleu-outremer : végétaux, bouteilles et bâches plastiques, artefacts sculptés par la nature et le temps, dont elle fait œuvre.
Le bleu profond de la mer d’où elle origine résonne visuellement dans la bigarrure des cultures qu’elle a partagées. On découvre dans ses peintures des récifs, on y lit des récits de ses combats, de ses malheurs, mais aussi les victoires d’une femme insoumise à son destin. Des clameurs d’autant plus percutantes que toute son œuvre picturale, sculpturale et d’installations mêlées nous fait entendre le chant d’une fragilité humaine, où la vie côtoie la mort, l’ombre obscure la lumière des terres solaires. Elle nous capte dans la dynamique tantôt frontale, tantôt subtile de son combat de femme et des séductions de son art.
Francesca Caruana évoque dans mon propre imaginaire masculin les sirènes de l’Odyssée, belles dangereuses, fatales séductrices du royaume de la mer. Elle joue habilement des tensions qui s’exercent dans son œuvre entre le trait retenu et le geste, libéré, les calligraphies et les marquages végétaux, la planéité des peintures et les reliefs des installations, les remous et les tourbillons, les contrastes de l’arène, ses bâtons dressés comme des banderilles de tauromachie et les maillages de ses filets brisés à la dérive.
Je ne sais presque rien de Francesca Caruana. Je ne l’ai rencontrée que dans son œuvre. Mais je connais ses convictions sémiologiques. Nul doute que chacun des signaux qu’elle inscrit soit conçu attentivement comme un langage visuel. Et lorsque je lis son œuvre, je découvre l’authenticité d’un art premier, le dialogue combattif, infatigable, inégal d’une femme avec les forces des mythes méditerranéens qu’elle invoque, parce qu’ils ont façonné sa vie et son rapport à l’univers. Veut-elle en les exprimant s’en libérer ? C’est ce que tente le mythanalyste, et parfois l’artiste. Francesca Caruana certainement. Nous fabulons le monde. Il nous fabule. Je vois dans son œuvre qu’elle le sait. Et elle sait aussi que l’absence de baculum – l’os pénien – chez les mâles de l’espèce humaine, à la différence de tous les autres primates, ne présage pas de leur innocence. La métaphore ne nous échappe pas. Elle pose la question ontologique la plus importante de notre condition planétaire : l’absence du mal s’inscrit-elle dans l’évolution future de l’humanité ? Je le crois, dans le temps long, dans un ou deux millénaires, si nous sommes encore de ce monde. Mais qui jurera que l’espèce humaine est éternelle ?

Vue de l’exposition Francesca Caruana – Baculum Plastik. ©Photo FC
Vue de l’exposition Francesca Caruana – Baculum Plastik. ©Photo FC
Objet-sculpture, Francesca Caruana – Baculum Plastik. ©Photo FC

Contact> Francesca Caruana – Baculum Plastik, jusqu’au 30 avril au Musée archéologique de Bélesta.

Image d’ouverture> Détail d’une peinture, Francesca Caruana – Baculum Plastik.