Dashanzi – Art et business

Située dans le nord-est de Pékin, la 798 Art Zone de Dashanzi fait sa révolution. Ancien site de production de composants électroniques, ce district de 500 000 m2 a été investi par l’underground artistique chinois pour devenir le site de référence du pays.

« C’est devenu l’endroit de Pékin où les prix sont les plus chers au m2. » Pourtant pas de buildings, pas de quartiers entièrement rénovés, pas même un trompe-l’œil en carton pour cacher la misère des hutongs (ndlr : ruelles anciennes propres à Pékin). Là où on ne tolère pas les fleurs fanées, leur préférant des doubles plastifiés, on encourage le verre brisé ! Vestige d’une zone industrielle qui n’a pas survécu aux réformes économiques de Deng Xiaoping, Dashanzi n’a pas peur d’abattre des murs vénérables. Et même si l’architecture reste standardisée, c’est pour mieux l’estampiller : Bauhaus certifié. « L’histoire de Dashanzi commence dans les années 50, avec le projet 157, après que le gouvernement chinois s’est associé à des ingénieurs allemands. C’était une unité de production fournissant en matériel électronique l’Armée de Libération de la Chine », précise Romain Degoul, propriétaire de la Paris-Beijing Photo Gallery, installée dans la capitale chinoise depuis 2001. « Cinq ans plus tard, l’usine 798 ouvre ses portes et remplit ses fonctions durant près de quarante ans. L’ensemble a été complètement construit dans le style Bauhaus ». Dashanzi, au cœur du plan d’unification soviétique, scellant la coopération de l’Union soviétique, de l’Allemagne de l’Est et de la toute jeune République Populaire de Chine, jusqu’à l’inscrire dans la pierre : celle des cheminées qui s’érigent, des façades rouges et grises des usines qui affichent encore les slogans révolutionnaires de l’époque. Mais aujourd’hui, drapeau national et étoile rouge servent une autre révolution.

Niu Hong Kai, photo Charlène Santini
Baby Face de Niu Hong Kai

La sexualité n’est plus un tabou

« Dès les années 90, les artistes sont venus squatter ces entrepôts partiellement désaffectés faisant de Dashanzi le vivier de la création contemporaine chinoise », indique le galeriste français. « Tout le Pékin underground s’y est installé » : celui des artistes de l’avant-garde chinoise qui, en mal de grands espaces et fuyant un gouvernement hostile, a choisi de s’installer au cœur de cet ensemble tentaculaire. Comme Liu Bolin, dont les points de Mao marquent le bitume de ce réseau routier en forme d’échiquier, et les frères Gao, Qiang et Zhen, connus pour leurs œuvres détournant l’image du Grand Timonier ou encore le designer Huang Rui et le photographe Xu Yong qui ont investi, en 2002, la galerie 798 ; avec ses 4 600 m2 et son toit en dents de scie, elle demeure la plus imposante de la zone. Loin des yeux, loin des lois ? « Bien évidemment, Dashanzi est surveillé de près et il y a toujours beaucoup d’autocensure chez les artistes chinois », constate le galeriste. « Mais les choses évoluent progressivement. Il y a deux ans, on m’a interdit une photo de nu. Aujourd’hui, la sexualité n’est plus un tabou. L’essentiel est de ne toucher ni à la religion ni au gouvernement. »

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400 établissements et 10 000 employés

Dashanzi abrite le Pékin underground des créateurs, mais aussi des promoteurs : celui des premières sommités chinoises et étrangères venues encourager ces artistes dont les œuvres qui ne valaient que quelques yuans pèsent désormais plusieurs millions d’euros. Parmi elles, Sui Jianguo de l’Académie des beaux-arts qui décide en 2000 de s’y installer définitivement, attirant dans son sillage artistes, personnalités du milieu de l’art et galeristes. Un an plus tard, c’est le texan Robert Bernell qui ouvre sa maison d’édition et sa librairie, Timezone 8 Art Books, dans la cantine d’une usine. En 2007, c’est au tour de Luise et Jen Faurschou d’installer leur galerie sur plus de 1000 m2. Aujourd’hui, la Art zone abrite plus de 400 établissements et 10 000 employés. L’art n’est plus la seule activité. Nike y a même ouvert un magasin. Bienvenue chez le cousin arty de Mickey ! « Avec les Jeux olympiques, Dashanzi s’est institutionnalisé. Les Chinois viennent ici comme dans un parc d’attraction, sans rien connaître à l’art. Je passe mon temps à répéter qu’il ne faut pas toucher les œuvres », déplore Romain Degoul ; au point d’envisager de déménager à Coachangdi où la prestigieuse galerie Courtyard a déjà ouvert ses nouveaux locaux. Nostalgie d’un Dashanzi qui n’est plus ? Pendant que plus de 1,5 million de touristes par an déambulent dans l’Art Zone, certains fantômes continuent d’y errer. Ceux des ouvriers qui, au milieu de l’insouciance de la jeunesse branchée de Pékin, suent toujours dans la vapeur des usines. 798. Trois chiffres, un lieu, une combinaison : celle des paradoxes de la nouvelle Chine.

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