« Si la liberté a toujours été une notion importante pour l’homme – aux Etats-Unis, elle est l’un des trois droits fondamentaux énoncés dans la Déclaration d’indépendance de 1776 avec les droits à la vie et à la recherche du bonheur ; en France, elle appartient à la célèbre devise de la République : Liberté, Egalité, Fraternité –, elle ne l’a jamais été dans de plus grandes proportions qu’à l’heure actuelle, où beaucoup pensent que son principal “adversaire” est le terrorisme », explique Benjamin Grosser. Pour l’Américain, actuellement invité de la galerie Charlot à Paris, c’est un peu vite oublier combien nos sociétés ont de tout temps cherché à l’« encadrer » par des règles et des lois censées d’abord organiser et faciliter le vivre ensemble. Passionné par l’univers du logiciel, dont il a fait son mode d’expression privilégié, l’artiste explore depuis plus de dix ans les relations que nous entretenons avec les machines, notamment robotiques, et la manière dont l’ère du numérique a ouvert un immense espace de liberté tout en générant de nouveaux modes de contrôle sur nos vies, qu’ils soient d’ordre économique, politique ou policier. Avec Facebook Demetricator (2012), il revient ainsi par exemple avec ironie sur la « présumée neutralité de ce logiciel simplement censé “aider à la communication et à l’interactivité entre les gens”, dirait Mark Zuckerberg » : il s’agit d’une extension de navigateur Internet – téléchargeable librement depuis son site – qui a pour conséquence de masquer toutes les données chiffrées apparaissant sur une page Facebook et de démontrer combien, finalement, elles influent sur notre façon d’utiliser le réseau social. Parmi les autres travaux présentés, citons Computers Watching Movies (2013), qui offre de découvrir ce qu’un système computationnel retranscrit de son observation d’un film – en l’occurrence 2001, l’Odyssée de l’espace, American Beauty, Inception, Taxi driver, Matrix et Annie Hall – et génère de fait un questionnement autour de l’acte (humain) de regarder et de son interprétation. Une pièce avec laquelle il a obtenu le Premier prix VIDA 16.0*, en 2014. Conçue à l’occasion de son exposition parisienne – organisée suite à l’obtention cette année d’une autre récompense, italienne cette fois : le Artist Gallery Prize d’Arte Laguna –, Tracing You (2015) se fait, pour sa part, l’écho d’un site Web qui tente de localiser ses visiteurs en croisant leur adresse IP avec une image trouvée en ligne (sur Google Street View) correspondant aux latitude et longitude définies par l’adresse IP en question. En invitant chacun à s’affirmer « en tant que sujet historique actif, face à ce pouvoir technologique » – pour reprendre les mots de la commissaire d’exposition Valentina Peri –, l’œuvre de Benjamin Grosser vient raviver nos consciences assoupies et nous rappeler fermement à nos responsabilités.
* Dédiés à l’art et à la vie artificielle, les VIDA Awards ont été créés en 1999 par la fondation espagnole Telefonica. Leur dernière édition a eu lieu en 2014.