Sa peinture est dense, éruptive, habitée. Elle s’impose le plus souvent sur de grandes toiles peuplées de figures surgies d’un futur antérieur – comme s’il s’agissait des viscères d’un alien qu’on autopsie et dont les organes, enchevêtrés par les mythologies ou les cauchemars qui les relient, nous aspirent dans une profondeur infinie. Les huiles sur toile d’Orsten Groom ressemblent à ces premières IRM, dont les couleurs vives de la matière grise excitée affleurent à la surface des noirs, sans pour autant créer une image précise. Elles nous séduisent par leur intensité, par la singularité d’un vert dont on croit identifier les contours alors qu’il ne s’agit peut-être là que d’un artefact. Ou bien d’un « Odradek » tapi dans un repli du temps, démasqué dans un fatras de noir à l’issue d’un télescopage branaire. Alors que l’artiste est simultanément à l’affiche de quatre expositions en Europe, nous lui avons proposé de se prêter au Jeu des mots.
Nous avions rencontré Orsten Groom – suivi par plus de 18 000 fans sur sa page Facebook – en mai dernier, lors de son exposition monographique parisienne, qui portait tout le mystère de ce titre kafkaïen (ODRADEK) à la galerie 24B : trois cent mètres carrés de toiles bariolées d’une peinture dionysienne et puissante, déployée sur deux étages, derrière le Centre Pompidou. Artiste total et indépendant, gérant sa carrière à bras le corps, Simon Leibovitz Grzeszczak, de son vrai nom, est né en Guyane d’une famille polono-lituanienne en 1982. Diplômé de l’Ecole nationale supérieure des beaux-arts de Paris en 2009, il fut primé en 2011 à sa sortie du Fresnoy, pour son film BOBOK (1). Il fut par ailleurs lauréat du Prix Antoine Marin en 2015 et primé par l’Académie des beaux-arts en 2016. Leibovitz entretient un rapport existentiel avec la peinture, au sens où elle préexiste et où il s’en nourrit ; mais il est aussi musicien, compositeur et développe depuis 2012, en collaboration avec l’auteure et curatrice cinéphile Elodie Tamayo, un cycle vidéo basé sur le found footage (2) et le sur-titrage, Les Ballets Russes, qu’ils revendiquent tous deux comme « un programme dépréciatif et pourtant lyrique d’un état de la création relativement foireux ». Inouï !
C’est donc le peintre que nous avons rencontré, dont les toiles se font les résonances magnétiques d’une agonie brutale et grotesque : la vie ! « It grows on you », commente le galeriste Jean de Malherbe, qui sollicita l’artiste pour la deuxième édition de sa Project Room, une exposition collective présentée du 8 novembre au 6 décembre à la galerie Laforest Divonne, à Bruxelles, sur le thème du Kaléidoscope. « J’aime cette expression anglaise qui s’applique particulièrement à la peinture d’Orsten Groom, dit-il. Elle se révèle peu à peu, à mesure que le regard s’approfondit. Et à la fin, elle vous dévore. » Orsten Groom exposait à Bruxelles plus d’une dizaine de toiles, dont cinq tableaux récents réalisés pour l’illustration d’Orbe, un recueil de poésies (paru aux éditions A/over en mai 2017) fomenté en collaboration avec le poète et traducteur André Markowicz, avec lequel il partage une passion pour le répertoire de la littérature slave. L’orbe, une référence à l’astre céleste ? Ou bien, pris pour adjectif, « qui meurtrit la chair sans l’entamer » ? A moins que le titre choisi ne renvoie ici à cette idée d’un mur percé d’aucune ouverture ? Comme la surface granuleuse des toiles de Groom, entièrement maculées de matière ; nécessitant qu’on prenne du recul, pour en distinguer peu à peu les motifs, dans une perspective inversée faisant du spectateur le point du fuite. Autant de digressions sur ces images « non appelantes » – celles qu’on peut très bien ne pas voir mais dont on sent la présence en résonance avec les constructions littéraires d’un Dostoïevski –, et dont les deux protagonistes, Groom et Markowicz dissertèrent lors d’une conférence à Paris, devant un pot de cornichons et un auditoire conquis (3). « Ma peinture semble s’organiser de la même manière, avec d’une part toute une iconologie qu’on pourrait qualifier de Dostoïevskienne – la polyphonie, l’effet de foule et le télescopage – et celle d’une situation générale de crise, de paroxysme, avec le principe de saturation que le fond informe », précise le peintre.
Pour une toute nouvelle exposition monographique au Luxembourg, LARVAE SMORT REIGN, proposée par les collectionneurs ArtLux à la galerie Andersen & Associés jusqu’au 2 mars, Orsten Groom présente sa production comme s’il en était lui-même l’enquêteur, « au carrefour des étymologies archaïques et des archétypes ». Un catalogue, édité pour l’occasion, consigne avec les illustrations des dix-sept tableaux exposés des textes inédits d’Elisabeth Schubert et de Paul Ardenne. Ce dernier, historien et critique d’art qui défend avec ferveur la singularité et la pertinence picturale de Groom, l’a par ailleurs sollicité aux côtés de douze autres plasticiens dans un hommage rendu au réalisateur visionnaire Henri-Georges Clouzot, dont l’exploration des relations entre art et cinéma lui coûta un infarctus sur le tournage de L’enfer en 1964. Clouzot et les arts plastiques, une suite contemporaine est une exposition à voir jusqu’au 12 janvier à l’espace Topographique de l’art, rue de Thorigny à Paris. On peut y découvrir une toute nouvelle toile de Groom, qui s’inspire ici du fameux documentaire réalisé en 1956, Le Mystère Picasso, dans lequel Pablo se met à nu : « Il faudrait aller au fond de l’histoire, il faudrait risquer tout, dit-il à Clouzot. Voir les tableaux, les uns sur les autres comme ils se font… Ça va être très dangereux, c’est ça que je cherche ! » Un défi que relève Groom, dont le processus de travail se réfère aux principes de concaténation – d’une figure ou d’un élément qui en appelle un autre – et du recouvrement pictural évoqué par Picasso dans le film. Partant des noirs et blancs du Charnier, peint en 1945 par le peintre espagnol, Groom nous propose alors de « débusquer le tableau sous le tableau »… En l’occurrence Les Ménines, peint par Diego Velasquez en 1656. Toute une théologie de la peinture (4) ! Mais point de dogme, ni trop d’étalage de culture, qui pourraient nuire à l’essence même de l’art. Laissons plutôt la parole au peintre dont la parrêsia se mesure à la hauteur de l’engagement artistique.
Peinture
« Je pars du principe que le monde existe, que la peinture existe, bien avant nous et que nous sommes quantité négligeable par rapport à ça. Sachant que ce sont des forces autonomes, on ne peut donc les considérer comme notre tribut, en tant qu’être humain. Ce sont des puissances et des phénomènes qui sont bien plus hauts que nous dans la chaîne alimentaire, des autorités naturelles contre lesquelles il ne nous viendrait pas à l’esprit de se rebeller (comme devoir respirer, dormir ou pisser). Je suis peintre, donc je suis branché sur cette puissance-là, impersonnelle et impériale. Soldat au service de la peinture, ou plutôt organe, fonction. »
Odradek
« C’est issu d’une nouvelle de Kafka, Le souci du père de famille : il rôde dans la maison une créature indéfinissable, indescriptible, qui pourrait ressembler à une bobine avec une tige, sans domicile fixe mais qui a toujours été là et qui survivra à chacun. Pour moi, c’est une définition assez proche de la peinture, inquiétant les pères de famille, une généalogie autonome. Et puis, cette image de la bobine qui s’enroule et se déroule correspond assez bien à mon approche de la peinture, comme une grande récapitulation qui file, qui tourne pour elle même et sur elle-même, avec ou sans signification. Ça me semblait être un bon titre d’expo avec un certain sex-appeal. »
Art
« L’art n’est pas une décoration pour l’être humain, c’est le contraire ! L’art permet à chacun d’y participer, de jouer avec. Il ne peut pas y avoir d’orgueil dans le fait de peindre, il ne peut même pas y avoir d’ego. Il faut cependant bien distinguer l’activité, le fait de peindre, d’être au service de la peinture, puisque c’est elle qui décide, et le peintre, la personne qui, comme moi, peut être un petit con, lubrique et imbu de sa personne. Mais ça ne change rien, car les tableaux s’en fichent. D’ailleurs, on ne fait pas de peinture pour sa satisfaction personnelle ou pour plaire à sa mère, même si aujourd’hui on rencontre une nouvelle mode de peinture française très réaliste de gus qui font du coloriage à partir de vidéoprojecteurs. La peinture qui sort de nos mains n’est en aucun cas la synthèse de nos petits goûts personnels, de nos opinions ou de nos points de vue que nous aurions déglutis pour en faire une sorte de substrat. Ça ne marche pas comme ça ! La peinture se fait et j’y réagis. Cervantès disait : “J’écris ce qui sort de ma plume” ; Monet : “Je peins la peinture qui pousse sur les murs de la cathédrale”. Après, tu obéis : il manque du jaune, tu rajoutes du jaune, tu corriges, mais c’est le tableau qui l’ordonne, il a son propre raisonnement. Nous, on obéit. Qu’est-ce qui fait qu’on puisse se dire : “Ha non ça ne va pas ! Voilà c’est mieux ! Ça sonne mieux !” Si l’on réagit face à un tableau en train de se faire, c’est qu’il en a besoin pour être autonome. On voit bien qui est aux manettes. Un tableau n’est ni un tract de propagande, ni un bavoir. C’est de la peinture ! Il faut bien séparer l’art de la culture : l’art est un phénomène non humain qui n’a pas besoin de l’homme en particulier, mais qui peut l’inviter et le prendre en charge. La culture est une activité typiquement humaine, mesquine et “petit bras”, qui consiste à trier dans la production artistique pour créer un récital officiel du pouvoir. L’attitude culturelle fait énormément de mal : elle complexe les gens alors qu’il n’y a rien de plus naturel que de faire de l’art. C’est comme faire la cuisine : tu goûtes, il manque du sel, tu en rajoutes. Tu veux te rouler par terre avec ton chien, hop. Les animaux, le vent, le système digestif : tout le monde est au courant sauf nous. »
Orsten Groom
« Face à la peinture je me considère comme un serviteur, une soubrette, un majordome. Je me suis choisi le nom de Groom parce qu’il représente l’idée du serviteur. Mais il présente bien : il porte un costume et puis le mot en anglais signifie tout un tas de choses, comme The bride and the groom, la mariée et son fiancé, se faire beau, s’apprêter et, chez les singes, c’est s’épouiller. Le groom peut porter beaucoup de choses. Orsten vient de la biographie d’Orson Wells, génie officiel, qui raconte qu’il ne pouvait pas mettre un pied en Italie sans que Lucky Luciano ne l’alpague, l’exhortant à faire un film, tout en étant incapable de prononcer son prénom correctement. Ça l’agaçait complètement, et quant à moi, cette anecdote m’amuse beaucoup. Orsten Groom, c’est donc le serviteur de la prononciation ratée, mais du génie ! »
Fortune et gloire
« Nous sommes des créatures sous le soleil qui pouvons servir l’art en jouant, et ainsi nous constituons le futur. Il nous faut donc nous y dédier totalement, à 100 %. Pas 99 ! Pas suffisant ! Si tu es artiste à 100 %, et que tu ne crois qu’en l’art, alors tu peux en faire, alors tu es bienvenu et ce sera ton succès : être totalement artiste, travailler, servir et jouer dans ton atelier, que celui-ci soit minuscule ou gigantesque, peu importe. Bien sûr que nous avons besoin de grands ateliers pour se débarrasser de la réalité. Tous les ateliers d’artistes doivent grandir et grossir et dégorger la réalité. Quand je travaille à l’atelier, que je suis au service, que je fais le « groom » de la peinture, cela peut donner lieu à des comportements complètement inhumains. Mais ma personne civile a besoin de manger, de s’habiller et de tout un tas d’autres choses – autant qu’elle développe tout un tas de vices crapoteux. Oui bien sûr, fortune et gloire, j’en veux, je veux tout, je ne connais personne qui n’en veuille pas. Je suis humain, c’est humain, je suis très content quand je gagne de l’argent, je dépense et réinvestis tout dans le travail. Bien sûr, j’ai envie d’être le plus célébré possible, si cela peut permettre à ma peinture – qui est une porte tambour pour la peinture en général – de circuler, de rencontrer d’autres tableaux, ou de mieux se mener à travers moi. Je suis totalement indépendant et autonome, et, à ce titre, je me charge absolument seul de toute la chaîne de production, distribution, communication, etc. Ça signifie faire de la mise en page sur ordinateur pour confectionner son propre catalogue, louer les espaces, coordonner les transports, se charger de l’accrochage et de l’éclairage ; envoyer des centaines de mails, avoir un site Internet qui fonctionne, etc. C’est épuisant, il faut être opiniâtre, mais c’est la condition pour être un soldat complètement dévoué. Les tableaux, eux, se font seuls, c’est facile, c’est ma passion. “Quand je n’ai pas de bleu, je prends du rouge”, disait Picasso, c’est-à-dire qu’il s’en remet au génie de la chose, quoi qu’il advienne. Mais si Van Gogh avait été plus heureux, il aurait fait d’autres tableaux : la peinture n’a eu besoin de lui que dix ans ! Picasso, beaucoup plus longtemps. Moi, j’essaie de ménager ce besoin, et je “clamserai” quand elle sera enfin contente de moi. Et voilà ! »
Numérique
« Ce qui est important aujourd’hui, c’est la façon dont cela convoque les images. Au stade de la confection du tableau, quand celui-ci commence à se peupler. Il peut surgir tout et n’importe quoi, mais peu importe, je fais confiance à la peinture. Pour moi, ça enclenche un processus d’enquête que je mène à l’atelier sur Wikipedia ou Google, à partir des figures apparues ; cela crée tout un répertoire de formes et d’informations qui m’instruisent. Quand je me renseigne sur un sujet, je débusque soit un mythe, une légende, des archétypes archaïques de la “Grande Histoire” ; je mène une recherche étymologique pour laquelle j’utilise plusieurs langues en même temps : le français, le polonais, le russe, le latin, le grec et, en particulier, l’allemand, pour son raisonnement qui permet de combiner certains termes et “faire concept de tout bois”. Ce qui, en soi, s’apparente au raisonnement pictural. Pour moi, faire la peinture, c’est faire “la chose”, die Sache en allemand – alors qu’en français, “faire la chose” revient plutôt à “faire la bricole”, ce qui est bien aussi. J’aime l’emploi de l’allemand, non seulement parce que la langue confère au tableau une dimension historique – elle ouvre sur l’histoire avec, toujours, ses relents de guerre et de mythologie –, mais aussi parce qu’elle me connecte sur sa tonalité affective, die Stimmung (humeur, état d’esprit). Il se joue ainsi un rapport d’analogie et d’instruction, mais j’essaie de localiser un sujet qui semble être celui que le tableau indique, par la constellation qu’il met en place. Le tableau, c’est comme un langage, une pensée qui préexiste, il prend tout comme un grand coup de filet ; et toutes ces occurrences sont aussi importantes et intenses les unes que les autres. Il se doit de les préserver en efficacité et en dignité ; autrement dit, il faut que tout bande, sinon ce n’est pas la peine de vivre. »
Larvae Smort Reign
« Ma “méthode” est un processus d’enquête : le tableau se peuple de lui-même, de tout et n’importe quoi, parfois même de trucs complètement débiles qui me font honte – un canard, par exemple – ; alors, je me renseigne sur ces motifs. Immanquablement je tombe toujours sur un mythe qui les contient et qui m’en suggère d’autres, qui m’apprend des choses. La peinture m’instruit – littéralement – et s’instruit elle-même dans le tableau. Je fais donc des tas de recherches que je collecte à l’écrit, comme un détective avec son carnet : là, au lieu d’écrire “Le Règne des morts”, une lettre s’est mal agencée et ça a donné “Le Règne de Smort”. Ça m’a tellement surpris que j’en ai hurlé de rire : c’est qui ce Smort ? Mais du coup, comme ça participe du processus, c’est aussi de la peinture ; et j’ai trouvé que ce mec, cette entité, “Smort”, coagulait bien le grotesque, le macabre, l’ambivalent suscités par les indices du moment, comme le polichinelle, le purgatoire et cette chose fabuleuse qu’est la larva, soit à la fois le spectre et le masque en latin. En suédois, cela signifie “l’onction”, en italien, “pâle”, je crois… et “esprit” en je sais plus quelle langue ! L’agglomération Larvae Smort Reign fabrique ainsi un genre de territoire assez idoine comme présentation de mon travail et de son pittoresque côté marginal, à l’occasion de ma première exposition personnelle au Luxembourg. C’est “former le carré”, comme disaient les Romains dans l’Antiquité. »
Mort
« Il ne peut pas y avoir de mort dans un tableau, dans la mesure où l’art est en soit l’expression d’une puissance de vie organique qui prend en charge toutes les déterminations morbides, funestes, calamiteuses, les angoisses, le drame et l’horreur… Je ne crois pas que dans l’art, le morbide existe ou survive : il y a quelque chose que les Mexicains connaissent très bien, c’est le macabre, et pas seulement eux, d’ailleurs : les danses macabres sont un genre, une fonction particulière de l’art comme comportement cathartique. Le macabre, c’est ce qui s’empare du morbide et de toutes ses déterminations affligeantes pour le réactiver, pour le “carnavaliser” et le mettre en jeu sur un autre plan, capable de susciter, de fabriquer de la joie. C’est le contraire du morbide. C’est le Conatus de Spinoza. Toute œuvre ne peut être qu’une expression vitale. Il n’y a pas d’art de la mort, ça n’existe pas. »
Enfer
« Le cercle des enfers, on y est, mais il y en aura quand même d’autres. Je peux être très intéressé par la mystique, le religieux, comme répertoire de formes. Il se trouve que je suis assez proche de la pensée juive et que j’y ai recours pour certains concepts qui m’excitent – comme le Shéol, le Tohu-Bohu. Le Shéol, c’est justement l’enfer après l’enfer, le tout-à-l’égout, la tombe commune de l’humanité, mais il n’y a pas de distinction entre bon ou mauvais : que tu aies été Mère Theresa ou Jean-Luc Godard, tout le monde s’y retrouve dénué de son identité ; et là, tu patientes en attendant de redevenir Rien, c’est-à-dire d’être redistribué dans la matière, dans le néant. Ça m’intéresse, car c’est le gris total. On dit toujours de mes tableaux “apocalypse, apocalypse” ; en effet, c’est une grande récapitulation, mais ce qui se passe dans mes peintures, ce n’est pas vraiment l’apocalypse, ce serait plutôt une seconde avant l’apocalypse : le moment où les créatures sont convoquées une dernière fois, n’importe comment, pour se densifier au maximum avant de sombrer dans le Shéol et disparaître. C’est plutôt une crise ou un paroxysme, un dernier élan vital, en dignité. »
Liberté
« L’art est un phénomène naturel basé sur la respiration, la digestion, le sommeil, sur tout ce qui est nécessaire. Or, ce qui est nécessaire est profane et ne doit pas être sanctifié. Dormir participe d’une autorité naturelle, une divinité : quand on est fatigué, on s’en remet au sommeil. Et on ne dort ni “de gauche”, ni “de droite”, ni catholique ni protestant, quoiqu’un religieux voudra toujours vous faire croire que si. Pourquoi notre conscience est-elle si peu humble ? Pourquoi tant d’arrogance ? On veut voler comme les oiseaux, nager comme des requins, mais sans jamais considérer leur système gouvernemental. Les animaux ne votent pas pour leur boucher, ni ne vont à l’office, mais ils sont plus résistants que nous. Ils nous survivront. L’idéologie est la seule chose qui s’oppose à l’art. Tout animal est un artiste, tout enfant est un artiste. Les enfants ne sont pas religieux. Mystiques, cosmiques, oui. Tout objet est artiste, car il ne peut être idéologue. Seul un cerveau irrigué d’idéologie ne peut être artiste. Si tu t’organises de façon idéologique, ésotérique ou politique, tu es contre l’art. L’église et la culture sont très rusées : elles proposent des contrats aux artistes pour les contrôler. La politique en est une forme affaiblie, qui les utilise aussi. Et Michelangelo survit : ce qu’il a produit lui survit. Le politique voudrait de nos jours qu’on illustre son état actuel, gouvernement ou système. Ce ne sont que des bidules opposés au futur. Nous n’avons plus besoin de ça, mais de quelque chose qui nous emporte dans le futur : ne pas y faire obstruction, c’est la liberté. »
(1) Le film BOBOK est un « fleuve movie » de 46’ suivant le périple d’un cadavre dans une Europe en guerre. Prix du jury au Festival Côté court 2011.
(2) Found footage signifie littéralement « enregistrement trouvé » et désigne le fait de récupérer des métrages de pellicules impressionnées ou de bandes vidéos pour fabriquer un autre film.
(3) Visionner la conférence donnée par Orsten Groom et André Markowicz sur Vimeo.
(4) Référence à la citation du peintre baroque Luca Giordano (1634-1705) au sujet du tableau des Ménines, reconnu comme l’une des toiles les plus importantes de la peinture occidentale : elle représente la « théologie de la peinture ».