Les odyssées de Chaumont-Photo-sur-Loire

Pour sa deuxième édition, Chaumont-Photo-sur-Loire accueille Juliette Agnel, Alex MacLean, Robert Charles Mann, Davide Quayola et Santeri Tuori. Installées sur quelque 1000 m2 dans le château et les bâtiments entourant la cour de la ferme, des images aux techniques et rendus forts différents invitent au voyage. Les visiteurs survolent ainsi les châteaux de la Loire, s’approchent des glaciers du Groenland, suivent durant 180 jours la course du soleil, pénètrent la vie des arbres à une échelle insoupçonnée et scrutent la forêt en divers temps. Autant d’aventures proposées jusqu’au 28 février.

Mieux valoriser le travail de l’image. Voici la raison qui a poussé Chantal Colleu-Dumond, directrice du Domaine de Chaumont-sur-Loire et commissaire des expositions qui s’y déroulent, à créer l’an dernier Chaumont-Photo-sur-Loire. « Nous avons toujours programmé de la photographie, mais regrouper ainsi les photographes permet de leur offrir plus de place. Ce sont environ 1000 m2 qui sont consacrés actuellement à l’événement, répartis en cinq solo shows. » En effet, les galeries hautes du château, celles de l’asinerie, des cours du fenil et des jardiniers accueillent cinq expositions à part entière, formant un parcours visuel des plus inattendus. Deux d’entre elles résultent d’une résidence effectuée sur place : durant plusieurs semaines Davide Quayola est venu travailler au plus près des arbres du parc tandis que Robert Charles Mann y déposait d’incroyables petites boîtes. Mais débutons la visite.

Les Portes de glace (série), Juliette Agnel, 2018.

Dans le château, quatre pièces en enfilade accueillent une sélection d’images appartenant à deux séries de Juliette Agnel. Au mur, de majestueux icebergs sculptés par une main mystérieuse. « Les Portes de glace proposent une ouverture sur un monde inquiétant, imaginaire, lié peut-être à des lectures », propose d’emblée l’artiste qui évoque notamment Paul-Emile Victor, mais aussi l’ethnologue Jean Rouch qui lui a donné envie d’aller en Afrique, pour ensuite remonter de plus en plus au Nord. Le voyage n’étant jamais circonscrit à une contrée, mais plutôt envisagé comme un préalable à la création. Puis un jour, Labanque, centre de production et diffusion en arts visuels, à Béthune, lui propose de participer au troisième volet de La Traversée des inquiétudes*, une trilogie librement inspirée de la pensée de Georges Bataille et imaginée par la commissaire Léa Bismuth. « Le vertige, la chute dans le vide du ciel », proposait l’écrivain. C’est entendu. Juliette Agnel décide de se rendre au Groenland expérimenter sa propre notion du vertige. « J’ai l’habitude des conditions difficiles, mais cette expérience fut de loin la plus rude que j’ai connue. Photographier dans le froid est très complexe. » Le matériel emporté demande des réglages à main nue. Par -30°C, nombre de manipulations sont impossibles. Il faut s’adapter ou congeler, mais l’émotion est comme l’environnement : extrême. La trajectoire du bateau dévoile peu à peu les icebergs. Juliette Agnel a l’impression que des portes se créent dans la glace. « J’étais partie pour faire des photos de nuit, mais ce n’était pas possible. Finalement, j’ai travaillé plus tard celles prises le jour. Je les ai poussées vers une nuit bleutée qui porte à l’imagination. » Dans la pièce suivante, elle propose des images de la même série en négatif. « J’ai tenté d’inverser les valeurs et me suis aperçue que cela révélait des densités de glace différentes et, par-là même, la force de certaines images. » L’artiste souffle alors le chaud après le froid en exposant des ciels étoilés capturés au Maroc en 2017 par près de 40°C. Décidément, l’extrême pousse à la création.

Renaissances – Château de Chenonceau, Alex MacLean pour le Domaine de Chaumont-sur-Loire.

A quelques mètres de ces nuits marocaines dans le désert, l’Américain Alex MacLean présente une récente série réalisée en France. « Dans le cadre de la célébration des 500 ans de la Renaissance, nous avons demandé à ce grand photographe du paysage de s’intéresser aux châteaux de la Région Centre-Val de Loire. Durant trois jours, il les a photographiés à partir d’un hélicoptère pour nous offrir un regard nouveau et très contemporain de ces chefs-d’œuvre du patrimoine mondial », commente Chantal Colleu-Dumond. Les châteaux de Chambord, Azay-le-Rideau, Villandry, Chaumont-sur-Loire… apparaissent sous un jour étonnant. Vus d’en-haut, le regard les embrasse dans leur complétude ou au contraire se fixe sur certains détails. A Chenonceau, l’architecture se mire dans l’eau et le photographe nous offre ses reflets comme autant de pièges à rêves. Mais la visite est loin d’être terminée. L’œil se réinitialise.

Direction la galerie basse du Fenil et les Forêts imaginaires de Santeri Tuori. « Toutes ces photos ont été prises sur la petite île de Kökar, située entre la Finlande et la Suède, où depuis douze ans je mène un travail autour de la forêt. Quand j’ai commencé, je me rendais toujours exactement au même endroit, pour photographier le même paysage selon un même cadrage. A présent, je prends plus de liberté », explique l’artiste finlandais. Chaque image est composée d’une prise de vue en noir et blanc sur laquelle se superposent plusieurs autres photographies en couleurs prises à divers moments, parfois à des mois, voire des années, d’intervalle, formant à la fois un condensé de captures visuelles et un extrait de différents temps.

Diptych Forest#39, Santeri Tuori, 2017.

Pourquoi cette île ? « Parce qu’elle est spéciale ! Au début, je cherchais à m’imposer une forme de frontière. Ensuite, à m’y rendre encore et encore, j’ai gagné en efficacité. Je savais où j’allais. Je n’avais pas à perdre de temps pour trouver de nouveaux endroits. Plusieurs fois, je me suis dit que je n’y retournerais pas, qu’il fallait mettre un terme à ce “voyage”, que je n’avais plus rien à découvrir. Mais étonnamment, c’est le contraire qui se produisait. Si le lieu n’a pas changé, le travail, lui, a évolué. » Les arbres se livrent peu à peu. De nouvelles voies s’ouvrent dans l’ardente répétition du regard. Il faut maintenant traverser la petite cour des jardiniers pour rejoindre l’espace consacré au travail de Davide Quayola (notre photo d’ouverture). Sur le mur noir, trois grands tirages de formats différents reconstituent l’entièreté d’un arbre. Le tronc étrangement blanc attire en premier l’attention puis, peu à peu, d’autres singularités se font jour. Le nez presque collé à l’image, l’œil observe des myriades de petites billes composant tant les feuilles que les brindilles. « Ces images évoquent des photos. Vous reconnaissez des plantes, des éléments de la nature, mais aucun procédé photographique n’est en jeu », annonce l’artiste. Parfaitement inscrit dans ses plus récentes recherches, Remains est le résultat d’une exploration numérique assidue. A l’aide d’un scanner 3D laser, Davide Quayola scrute les arbres, en mesure les données, pour ensuite les restituer sous forme d’images générées par ordinateur. Si la représentation est décorrélée d’un point de vue et la perspective abolie, le résultat n’en est pas moins pour l’artiste un « travail traditionnel de peinture », même si réalisé grâce à une médiation machinique. Il explique : « La forme des éléments que j’essaie de capturer est très complexe. Or le type de scanner utilisé n’est pas fait pour recréer une telle géométrie. Certains points ne devraient pas être là où ils sont. Il y a des trous, des lignes brisées… C’est là que le processus devient intéressant esthétiquement parlant. Grâce à l’impossibilité de la machine de retranscrire parfaitement ce qu’elle capte. » Chaque point correspond à une action du laser déclenché à une distance spécifique. L’artiste aime avoir recours à des algorithmes pour explorer un autre monde à travers eux. « C’est un peu comme si je collaborais avec la technologie pour découvrir une nouvelle esthétique, une nouvelle façon de regarder. »

Impressions solaires, Robert Charles Mann, 2018.

Dans l’Asinerie, une émotion colorée est au rendez-vous. Six grandes photographies traversées par des rayons aux nuances de vert, d’orange, de rose, de bleu… se disputent la considération du visiteur. Conquis avant d’avoir compris, ce dernier passe de l’une à l’autre, se laisse emporter par ces étonnants arcs-en-ciel nimbant de sombres paysages. « Ces images sont réalisées avec un appareil sans objectif, une boîte avec un trou de quelques millimètres qui contient un morceau de papier photo », explique Robert Charles Mann. Le 21 décembre 2017, l’artiste installe une douzaine de « solargraphes » dans le parc du Domaine et offre au temps d’agir jusqu’au 21 juin suivant. Durant six mois, les rayons du soleil s’immiscent par l’infime percée et la lumière fait réagir la surface photosensible du papier. « Je suis fasciné par l’aspect direct du procédé. Chaque ligne représente une journée, ce sont donc 180 jours qui y sont inscrits. En haut, le solstice d’été, en bas celui de l’hiver. » Qu’un nuage vienne à s’attarder et l’arc de cercle s’interrompt. Aux antipodes d’un relevé scientifique, les images de Robert Charles Mann sont heureusement poétiques. Voici en quelques lignes décrit le cinquième voyage proposé jusqu’au 28 février par Chaumont-Photo-sur-Loire. Soyez Ulysse et multipliez les odyssées.

*Vertiges est à l’affiche de Labanque jusqu’au 10 février.

Contact

Chaumont-Photo-sur-Loire, jusqu’au 28 février au Domaine de Chaumont-sur-Loire.

Crédits photos

Image d’ouverture : Impressions végétales (détail), 2018 © Davide Quayola, photo MLD – Renaissances – Château de Chenonceau © Alex MacLean, photo MLD – Diptych Forest#39 © Santeri Tuori, photo MLD – Impressions solaires © Robert Charles Mann, photo MLD – Les Portes de glace © Juliette Agnel, photo MLD courtesy galerie Françoise Paviot

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