Le dessin mythique d’Eva Magyarosi

La galeriste suisse et auteure Barbara Polla présente, à Paris, la première exposition solo d’Eva Magyarosi. Plusieurs fois célébrée dans son pays, l’artiste hongroise est connue pour l’excellence de ses animations. En 2017, elle a représenté son pays à la Biennale de Cochin, en Inde. Rencontre avec une œuvre où le trait s’offre toutes les libertés.

Détail de l’exposition Récits privés, Eva Magyarosi.

Une série de 42 dessins pare les murs de la galerie parisienne 24 Beaubourg, des scènes inscrites sur du papier délicat, travaillées par le temps. A droite de l’entrée, une projection : Tundra, œuvre essentielle de Récits privés. « Riche d’une extraordinaire floraison de moments secrets, d’aveux murmurés, d’obsessions diversement saintes ou perverses, de figures de ses proches ou tout aussi bien imaginaires, l’univers plastique d’Eva Magyarosi cultive un goût travaillé pour l’émerveillement », explique Paul Ardenne, commissaire de l’exposition. Au mur, dessins, collages et animés se succèdent. L’image nargue et joue du mouvement. Constamment à l’œuvre, un balancier subtil fait passer le visiteur de l’enchantement à l’inquiétude, du fantastique à l’ordinaire, des paupières fermées aux yeux ouverts. « La Suisse, que je suis, a rencontré l’Hongroise, qu’elle est, au sud de la Turquie, à Bodrum. J’ai découvert son travail alors qu’elle était en résidence et souhaité l’exposer dans ma galerie, à Genève. Cela fait maintenant six ans que nous travaillons ensemble », témoigne Barbara Polla, qui représente et expose l’artiste depuis 2013.
Eva Magyarosi est hongroise. Elle vit dans un village, au bord du Danube, près de Szentendre. Située non loin de Budapest, la ville est connue pour ses musées, ses nombreuses galeries et son festival d’art. C’est dans cet environnement propice à la création, que l’artiste fait naître une œuvre puisant au cœur de ses souvenirs. La famille est l’essence même de son inspiration. A la fois, ses aînés et ses enfants, dont elle observe beaucoup le monde. L’exposition se déploie sur deux étages. Au sous-sol, les travaux les plus anciens, dont Invisible Drawings, une animation de 2012, qui parle du père d’Eva Magyarosi. « Tu me manques Papa », constate simplement l’artiste, qui écrit tous les textes de ses vidéos. « L’autre jour, une femme est venue. Elle ne connaissait pas ce travail et est remontée en pleurant. Le travail d’Eva s’inspire d’événements très personnels pour exprimer des choses universelles. Quand elle parle de son père, elle parle aussi du mien et de bien d’autres. Elle parle à notre âme », témoigne Barbara Polla.
Les vidéos sont systématiquement accompagnés des dessins qui les ont fait naître. Parfois montrés dans leur solitude, parfois rassemblés en des collages. « Eva part d’une photo de famille, puis en dessine les personnages, les découpe, les met en mouvement grâce à l’ordinateur. Elle leur donne vie. » Par endroit, le dessin s’aventure sur le mur. L’artiste ajoute in situ des éléments qui se révèlent manquer à l’original. Le blanc, le bleu, le gris, dans toutes leurs nuances, sont incessamment présents. Comme le bâton et la main. « La main est celle qui donne la “caresse angélique”, selon les mots de l’artiste, mais aussi celle qui blesse, tue et dessine. Le bâton peut servir d’arme ou de canne. Il y a toujours cette ambiguïté dans l’œuvre. »
Au rez-de-chaussée, Tundra tourne en boucle. La musique de Mihaly Vig envahit l’espace. Pour l’occasion, l’artiste a créé un monde. Ici, pas de référence familiale directe, mais la création d’un récit mythique qui demeure personnel. Tundra s’impose. Ce personnage, ni fille, ni garçon, est le héros de l’histoire. Il vit entouré d’animaux, les observe. Puis son regard sur le plus beau d’entre eux se transforme en menace. Il tue et devient adulte. Sur son corps, des épines. « Il y a une sorte de passage constant entre chien et loup, rêve et cruauté, finesse du dessin et violence du sujet. A certains moments, Tundra ressemble plus à une femme. Ses pensées voyagent dans des imaginaires plus féminins. D’autres enfants naissent. Le travail d’Eva est incontestablement pourvu d’un élément féministe. Il ne s’agit pas d’un féminisme frontal, post-MeeToo, anti-homme, mais d’une affirmation de notre existence en tant que femme. » Celle qui peut faire naître des êtres mortels, donner la vie et par conséquent la mort. Dans l’œuvre d’Eva Magyarosi, l’une ne va nulle part sans l’autre.

Contacts

Eva Magyarosi-Récits privés, jusqu’au 17 février, à l’Espace 24 Beaubourg, Paris.
Le site de l’artiste : http://valentina.hu.

Crédits photos

Image d’ouverture : Vue de l’exposition Récits privés © Eva Magyarosi, photo MLD – Toutes les photos sont créditées © Eva Magyarosi, photo MLD

 

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