L’art au fil de l’eau en Vallée du Lot

Le 2 juillet dernier, le coup d’envoi de la saison culturelle estivale a été donné dans le Lot, avec l’inauguration de la 12e édition du Parcours d’art contemporain orchestré tous les ans depuis Cajarc par la Maison des arts Georges et Claude Pompidou (MAGCP). A travers des paysages enchanteurs qui abritent quelques trésors de l’histoire de l’humanité et d’innombrables sites patrimoniaux, le circuit, intitulé cette année « Co-Mutations », accueille durant l’été plus de 20 000 visiteurs. Une belle occasion, tant pour les acteurs du territoire que pour les artistes, de faire découvrir l’art hors des sentiers battus. L’opportunité, aussi, pour les premiers d’enrichir l’attractivité de la vallée, pour les seconds de se confronter à un nouveau mode d’expérimentation à l’échelle et au cœur d’une nature préservée.

Organisée par le Centre d’art MAGCP de Cajarc, sous la houlette de sa directrice Martine Michard, cette édition 2017 voit deux artistes multimédias endosser la casquette de commissaires. Enfants du pays, Paul et Quentin Destieu, dont les recherches interrogent fortement l’évolution des médias et leur situation dans notre environnement actuel, ont imaginé un parcours dont la thématique privilégie les pratiques numériques et un travail collectif faisant appel à plusieurs sensibilités. Douze artistes ont répondu à l’invitation des deux frères pour une résidence de trois mois aux Maisons Daura, à Saint-Cirq Lapopie ; les œuvres et installations disséminées sur le territoire de ce nouveau parcours en sont l’aboutissement.

Le Repli, Géraud Soulhiol, 2017.

Avant de se lancer, au fil de l’eau, à la découverte de Co-Mutations, le visiteur peut appréhender plusieurs œuvres des douze artistes invités au sein même de la Maison des arts Georges et Claude Pompidou. Parmi elles, les dessins de Géraud Soulhiol, Projections et Plongées, témoignent de la confrontation engagée par l’artiste entre sa pratique du dessin et une « tentative » de compréhension d’un territoire naturel. Vus de haut, les paysages sont transformés par des ajouts imaginaires ; mis en perspective, les reliefs paraissent mécanisés par une trame qui les remodèle. Pour accentuer l’effet immersif, une lentille de verre concave oriente le regard du visiteur sur les dessins. Au cœur du Cirque de Vènes, l’artiste présente une œuvre monumentale pour laquelle il s’est emparé de la grille utilisée en modelage 3D pour venir l’appliquer au relief de la roche en surplomb, créant ainsi une distorsion dans la lecture du paysage.

Muage, Marie-Luce Nadal, 2017.

Marie-Luce Nadal, surnommée « la faiseuse de pluie », présente trois vidéos qui sont le fruit d’expériences réalisées dans une quête prométhéenne : celle de maîtriser les éléments et de pouvoir les reproduire. Avec des moyens appartenant tout à la fois aux arts et aux sciences, elle construit des paysages artificiels d’une rare poésie. Plus avant sur le parcours, dans sa tentative de toujours approcher les nuages et de relier la terre et le ciel, elle érige des totems en utilisant des araires et charrues de métal d’un autre temps. Ornés de toisons de moutons, ils ressemblent à une colonie de nuages plantés là tels des appâts pour leurs frères des cieux. Dans un lavoir, un peu plus loin, elle immerge au fond du bassin un texte gravé sur une tôle de métal (image d’ouverture), lisible que si le courant ou le vent ne viennent pas rider la surface de l’eau.

S-QRC, Sylvain Huguet, 2017.

Non loin de ces totems, un point de vue sur la vallée du Lot permet de découvrir l’œuvre de Sylvain Huguet, le S-QRC, un QR code monumental à scanner avec son smartphone pour accéder au site Web dédié. Dans un esprit Land art, l’artiste propose une cohabitation temporaire de la nature avec le virtuel. Jouant avec le temps – d’un côté celui des saisons, de l’autre des technologies –, l’œuvre, réalisée à la chaux, est amenée à disparaître progressivement.

Maraboutage 3D, Quentin Destieu, MAGCP Cajarc, 2017.

Mais revenons à la Maison des arts, afin de découvrir quelques-unes des autres pièces réalisées pour l’évènement. Parmi elles, les Maraboutages 3D de Quentin Destieu* : série de poupées vaudou à taille humaine représentant Bre Pettis, l’un des pères de l’imprimante 3D. Ce dernier, après avoir largement profité de la communauté Open Source pour développer son projet, a fait breveter l’invention et en a fermé le code, faisant voler en éclat les utopies libertaires de la cyber-communauté. Ces poupées de chiffon, qui arborent son visage quelque peu déformé, ont été réalisées – comme autant de pieds de nez – avec la même imprimante 3D dont l’usurpateur revendique à lui seul la paternité.

Jeux invertis, Collectif One Life Remains, 2017.

Le collectif parisien One Life Remains, qui réunit André Berlemont, Kevin Lesur, Brice Roy et Franck Weber, explore les propriétés du medium vidéo-ludique. Un travail qui trouve son origine dans une réflexion sur le statut des supports numériques et le rapport entre jeu vidéo et expression artistique. Contrevenant aux représentations habituellement associées au jeu vidéo, que ce soit par l’incongruité des contrôleurs proposés, le mode de déroulement de la partie ou la place conférée au corps du joueur, le collectif présente sur le parcours deux propositions. Au centre d’art de Cajarc, un téléphone cellulaire mis à disposition du visiteur offre de jouer à un « anti-Tetris » pour lequel il s’agit d’empiler des blocs le plus haut possible ; de part les ressources limitées mises en œuvre, la partie peut durer jusqu’à 250 ans ! Aux Maisons Daura, à Saint-Cirq Lapopie, dans une pièce plongée dans le noir, Jeux invertis s’apparente à la Sandbox (bac à sable). Avec le mur pour écran, le joueur peut manipuler, par le biais d’une manette de jeu classique, une sorte de magma digital dont la fluidité n’est pas sans rappeler le sable ou l’eau. Le participant se déplace ainsi dans une matière qui lui échappe à chaque manipulation. En fin de compte, l’exercice le contraint à se départir d’une certaine idée de la technologie comme support pour questionner la force plastique propre du numérique.

Collectif Direct Out sur le Tournage de 724 000 (Maisons Daura).

Dans le cadre des 40 ans du Centre Pompidou, le Centre d’art MAGCP accueille une installation magistrale de Franz West (1947-2012) : comptant à l’origine 72 divans recouverts de tapis persan – ici beaucoup moins, faute d’espace disponible –, elle invite le spectateur à prendre du repos. Celui-ci se pose, se détend et les conversations s’engagent. Pour l’occasion, le collectif Direct Out, qui associe Jérôme Fino, Yann Leguay et Arnaud Rivière, respectivement vidéaste, créateur sonore et musicien, réactive cette installation avec une vidéo dévoilant la face cachée de ses créations sonores. Scrutant et détournant l’espace urbain à la manière de graffeurs, le trio nous donne à voir et à entendre une relecture acoustique de cet environnement.

Double barre (arrêt sur image vidéo), Jérôme Fino et Emilien Leroy.

Il présente également, aux Maisons Daura, un film qui se compose d’une série de micro paysages capturés dans la vallée en interaction avec des dispositifs sonores. Ne pas hésiter à s’attarder sur cette œuvre poignante, tant par la beauté d’une nature rebelle que par la qualité des sons et des bruitages qui l’accompagnent. A la gare désaffectée de Cajarc, premier arrêt du parcours, vous découvrirez, dans un vieux wagon de voyageurs, une vidéo de Jérôme Fino et Emilien Leroy, Double barre. Interpellés par l’aspect fantomatique de la voie ferrée, ils invitent le spectateur à une énigmatique exploration visuelle et sonore, fidèle à l’esprit industriel du rail.

 

Luce Moreau propose, quant à elle, une rencontre entre les constructions d’un imaginaire humain et celles provenant de l’instinct d’insectes. Pour les deux propositions expérimentales présentées sur le parcours, et qui font partie d’un projet de longue haleine intitulé Nature Ordonnée, l’artiste a mis a contribution plusieurs ruches d’abeilles ainsi qu’une colonie de chenilles processionnaires. Elle leur a donné à coloniser respectivement des architectures utopiques et un anneau de Mœbius (symbole de l’infini ou du perpétuel recommencement). En côtoyant le vivant, l’art de Luce Moreau lui permet d’inverser les rôles dévolus aux humains et aux animaux et de réfléchir aux utopies passées.

Procession, Luce Moreau, 2017.
Colonisation des Palais par les abeilles, Luce Moreau, 2017.

A Grégols, se dressant au milieu d’un pré, deux installations de Paul Destieu, réalisées en collaboration avec la société Colson Wood, se répondent. La première, Subprime, fait écho à la crise du même nom qui mit à mal beaucoup de petits propriétaires américains. Composée d’un réseau en trois dimensions de gouttières en PVC, elle figure une habitation aujourd’hui disparue. La valeur du bâti n’étant plus pérenne, la limite de propriété devient périmètre de sécurité et interdit au visiteur le territoire de l’habitat. Pour la seconde installation, Option de stockage, l’artiste revisite le traditionnel séchoir à maïs, aujourd’hui délaissé par les pratiques modernes, en y intégrant un jeu de vides et de pleins qui crée une nouvelle circulation du regard perturbant le paysage. Cette pièce évoque tout à la fois une architecture en ruine et l’effondrement du monde agricole. Elle renvoie également, par sa forme, à un bug numérique, une image amputée de quelques pixels.

Subprime, Paul Destieu, 2011.
Option de stockage, Paul Destieu 2017.

La richesse de ce Parcours d’art en Vallée du Lot ne m’a malheureusement pas laissé le temps de voir les œuvres de Yann Leguay et de Grégoire Lauvin. A suivre, malgré tout, quelques informations incitatives. Le premier propose la fossilisation d’un clavier informatique, sculpté à même la roche (Press « esc » to exit fullscreen) ; dans ce contexte inapproprié, l’œuvre crée une incohérence géologique et temporelle qui désarçonne le visiteur. Avec Split Soundscape, Grégoire Lauvin invite à une immersion sonore au cœur de la vallée. Par un dispositif de microphones positionnés en différents points du territoire – au cœur d’un village, dans la rivière ou encore sur le rocher de la Baume –, les écoutes sont transmises en temps réel dans la caravane installée dans l’école de Saint-Martin-Labouval. En se déplaçant dans cet espace plutôt confiné, chacun peut naviguer d’un espace sonore à l’autre.

Press « esc » to exit fullscreen, Yann Leguay, 2017.
Split Soundscape, Grégoire Lauvin, 2017.

Quentin Destieu est le cofondateur, avec Sylvain Huguet, de l’association M2F Créations / Lab GAMERZ, un laboratoire artistique liant art, science et nouvelles technologies avec des ateliers basés sur la transmission de savoir-faire techniques et sur la création d’œuvres multimédia. L’association est aussi organisatrice d’un Festival international des Arts multimédia, ayant lieu chaque année à Aix-en-Provence.

Contact

Co-Mutations est à découvrir jusqu’au 3 septembre. Tous les jours, sauf le lundi, de 11h à 13h et de 14h à 18h, en entrée libre. Le parcours, très bien fléché, débute à la Maison des Arts Georges et Claude Pompidou à Cajarc pour s’achever à Saint-Cirq Lapopie, aux Maisons Daura. Un livret explicatif et une carte du parcours y sont disponibles.

Crédits photos

Image d’ouverture : Un courant dont je ne connais pas la source © Marie-Luce Nadal, photo Y. Gozard courtesy MAGCP – Le Repli © Géraud Soulhiol – Muage © Marie-Luce Nadal – S-QRC © Sylvain Huguet, photo Y. Gozard courtesy MAGCP – Maraboutage 3D © Quentin Destieu, photo Y. Gozard courtesy MAGCP – Jeux invertis © One Life Remains, photo ottoprod – Tournage 724 000 © Collectif Direct Out, photo ottoprod – Double barre © Jérôme Fino et Emilien Leroy – Procession & Les Palais © Luce Moreau, photo ottoprod – Subprime et Option de stockage © Paul Destieu – Press « esc » to exit fullscreen © Yann Leguay, photo ottoprod – Split Soundscape © Grégoire Lauvin, photo ottoprod

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