Moya, c’est à la fois Gepetto et Pinocchio, l’œuvre et son créateur, Guy Lux et Debord, Chantal et son homologue : l’artiste peintre, performeur ou bâtisseur conceptuel dans les métavers de Second Life s’inspire autant de l’énergie créatrice d’un Goya que de l’esthétique kawaii d’une chorégraphie coréenne. L’art par dessus tout et la pulsion enfantine sublimée ! Jusqu’au 15 avril, Le cas Moya s’expose à Nice, inaugurant par une belle exposition introspective un tout nouveau lieu patrimonial : la galerie Lympia, dédiée à l’art contemporain sur le port.
Dans un bel écrin, conçu sur trois étages à partir d’un ancien bagne et d’un joli pavillon méditerranéen coiffé d’un toit terrasse, tout l’aréopage de Patrick Moya, Dolly la brebis clonée – égérie des soirées électro de la région –, l’âne, le singe, l’éléphant, la grue et la soucoupe volante… sans oublier le petit Moya en personne, nous font face dans de grands tableaux, sous la forme de sculptures, de céramiques ou de vidéoclips, comme s’ils nous attendaient pour une fête ! Sur le registre de la psychanalyse, la commissaire Florence Canarelli – auteure, notamment, d’une thèse sur la représentation de la folie dans l’œuvre de Goya – a conçu avec notre plasticien baroque et faussement naïf une exposition rétrospective qui rend hommage à son narcissisme fondateur – de la constitution de son moi au surmoi, en passant par la chambre et le nom du père. Ce duo complice avait d’ores et déjà répertorié en 2011 plus de 4 000 œuvres dans un catalogue raisonné*. Après 40 ans de création, il fallait bien faire le tri !
Né en 1955, Patrick Moya grandit à Troyes, où son père tient une boutique de prêt-à-porter féminin, laissant les clientes essayer librement les dernières tenues à la mode parisienne alors que l’enfant joue dans la vitrine et commence très vite à dessiner. Aura-t-il gardé de cette enfance exposée le goût de la performance et de la peinture en public, qu’il exécute sans retouche, dans de grandes fresques lors de soirées festives ? C’est à 15 ans seulement que « l’enfant chéri » du pays niçois, dont la civilisation joyeuse illumine désormais le tramway et les bus, fait irruption sur la Côte d’Azur. A ce moment-là, lorsque ses parents espagnols se marient, il emprunte le fameux nom du père. Dans une des premières salles de l’exposition, ses œuvres de jeunesse en déclinent les quatre caractères, M-O-Y-A, sous différentes formes symboliques : lettrisme aux couleurs primaires et ou bien sculpture. Comme si la signature elle même constituait l’œuvre à part entière.
Au cours de ses trois ans d’étude à la Villa Arson, Moya évolue de la BD à l’art conceptuel, du body art à l’art sociologique et à la vidéo. Il réfléchit sur l’impact de la télévision en direct, où l’humain est au centre, et fait même signer une pétition à ses professeurs pour que Guy Lux, son champion de la discipline, soit nommé ministre de la culture ! « L’art doit être populaire et le rôle de l’artiste est de toucher le plus grand nombre. Sa place est donc au cœur de l’œuvre ! », affirme celui qui, avant de se mettre à l’ouvrage, posa nu pendant quelques années pour des écoles d’art. « Je ne veux pas être le créateur, mais la créature », se dit-il, titrant l’une de ses premières expositions Esquisse d’un narcisse niçois en 1985. Pour Moya cela ne fait plus aucun doute : « Le message, c’est le médium et le médium, c’est l’artiste, conclut-il à la lecture de McLuhan. Et le seul message que j’ai à faire passer, c’est MOI ! » En 1997, il crée pour autoportrait un petit personnage à lunettes qu’il intègre dans la plupart de ses toiles et décline sur tous les supports, céramique, vidéo, 3D, marionnette, etc. « J’ai toujours rêvé d’être universel par la pratique de nombreuses techniques et styles et par la multiplication de mes avatars », confie le plasticien prolifique et travailleur acharné. Pendant quatre ans, Moya est capable de peindre les murs d’une chapelle de montagne à la mémoire de Saint Jean-Baptiste. Mais lorsque la fresque est inaugurée à Clans, en 2007, l’artiste aura servi de modèle à tous les saints, même Jésus ! Moya se prendrait-il donc pour Dieu ? Toujours est-il que depuis ses premières programmations sur un Thomson MO5, il tente de se virtualiser. Depuis 2007, cet artiste numérique hors norme passe une partie de sa vie dans le Moya Land, tout un univers émergé, construit à son effigie dans Second Life, où il anime, à Noël, la messe en direct, organise des conférences et des visites guidées dans son Moya circus, son musée, sa galerie, son sanctuaire, son cinéma ou encore dans toutes les répliques en 3D des expositions qui lui sont consacrées. Suivi par un club international de geeks et d’amateurs d’art de la Californie à Busan, en Corée, en passant par l’Italie, Moya y a même créé avec humour un groupe de personnages contestataires manifestant contre l’autocratie qui règne dans l’île. « L’art est supérieur à tout, il est supérieur à Dieu… il faut adorer l’art ! », affirme celui qui, en toute simplicité, créait à l’âge de trente ans La bible en photocopie de Patrick Moya : Adam et Eve y sont chassés de l’intérieur de l’œuvre ; le premier devient alors peintre et sa compagne comédienne, le travail créatif sera leur lot quotidien !
* Le catalogue raisonné de Patrick Moya (888 pages) a été publié en deux tomes aux éditions ArtsToArts.