Né en 1988 à La Rochelle, Floryan Varennes est à la fois diplômé de l’Ecole supérieure d’art et de design Toulon Provence Méditerranée et bientôt titulaire d’un Master en Sciences humaines et sociales / Histoire et Médiévalisme à Paris X (juin 2019). Invité trois mois en résidence dans le Tarn par l’Association Fiacoise d’Initiatives Artistiques Contemporaines (AFIAC), le jeune plasticien présente le fruit de ses recherches, menées en étroite collaboration avec la Maison des métiers du cuir de Graulhet.
Le médiévalisme et l’apparat se trouvent intimement mêlés dans une recherche prismatique que déploie Floryan Varennes, où la culture courtoise agit comme catalyseur. Mystérieux fragments d’une histoire immémoriale, les sculptures et installations qu’il réalise agissent telle une résistance qui opère simultanément, entre l’offensif et le défensif. De cette pensée en mouvement naissent des formes élégantes et raffinées, avec des effets de matière, radicales et minimales. L’artiste se met en rupture par rapport au temps traditionnel, il réalise une hétérochronie associant l’époque médiévale à l’époque actuelle en créant des analogies par le prisme du corps, du vêtement, et la ritualisation de la vie charnelle.
Avec son rapport à l’histoire renforcé par ses investigations sémantiques, Floryan Varennes conjugue ainsi ses recherches à tout ce qui se rapporte au corps sans jamais le figurer. Dès lors, au sein de ses dispositifs qui expriment des questions de norme, d’altération et d’ornementation, il conçoit un répertoire ambigu de symboles héraldiques. L’univers de l’artiste incarne, par les formes qu’il travaille, cette opposition ambiguë perceptible entre l’attirant et le répulsif, le doux et le violent, l’amour courtois et l’attraction physique. Et cette ambivalence est toujours à l’œuvre dans son travail qui se joue entre limites et bordures dans une mise en tension permanente. Le doux fantasme de l’attirance des opposés ressurgit particulièrement dans cette nouvelle exposition de l’artiste.
Armada fait référence dans le langage guerrier à une armée, une flotte et par extension à une expédition militaire. En outre, l’armada évoque un très grand nombre de participants et induit alors la notion d’un déploiement important associé à des manœuvres exposées à de grands risques et nécessitant un certain nombre de précautions. Amor Armada ferait ainsi allusion à un déploiement de charme et de séduction.
Dans cet ensemble de pièces se joue tout le rapport à l’esthétique héraldique que Floryan Varennes aime à manipuler avec des références au tournoi et à l’amour courtois. Creusés, évidés, des étendards perdent leur fonction guerrière de bannières de reconnaissance portant couleurs et armes d’une chevalerie délaissée. En adoptant la figure de la grille, ils deviennent des évocations moins décoratives et emblématiques que symboliques (losange, passage terre/ciel, vulve, pièges, filets…) et font également référence à l’univers carcéral de la prison physique ou chimique. Le cuir iridescent utilisé par l’artiste scintille et fait alterner reflets roses et bleutés en se jouant des codes couleurs associés aux genres. La rangée d’étendards vibre et scintille dans l’évocation de la parade militaire ou les drapeaux claquent au vent, dans le bruissement de la bataille, l’exaltation du combat, la fébrilité des chevaliers et leurs montures. L’artiste déjoue avec adresse la symbolique médiévale qui le hante et le passionne pour la confronter aux codes fluctuants de notre société vers une toute autre parade. Par une superposition de strates métaphoriques, la parade devient nuptiale, agrémentée d’apparats visibles tels des ornements colorés de défilés aux tenues voyantes exhibées lors de marches des fiertés.
Floryan Varennes donne pour titre à cette installation d’étendards flottants la locution latine Punctum Saliens. Le punctum signifie point, piqûre, petite coupure, mais aussi stigmate. Il s’agit d’un détail qui provoque une forte émotion chez le regardeur, qui attire une attention particulière, mais qui ne relève pas de l’intention de l’artiste, il est une sorte de hors-champ subtil. D’autant que punctum saliens indique en latin le « point saillant », le germe du spasme, les toutes premières manifestations du cœur, identifiable par ses mouvements, repéré in vivo par ses battements. Enclenchant aussi toute la question de l’alternance, de la succession des sommets et des creux, de la présence et de l’absence, de l’élan et du retrait. Ainsi, l’oscillation des étendards dans cette pièce fait allusion au rythme cardiaque mais aussi, aux battements de cœur dans l’émoi de l’amour.
La notion de parure est tout autant active avec le soin apporté à la sélection des matières devenues médiums qui s’inscrivent dans un système de signes liés au cérémonial mais aussi à l’assujettissement du corps empêché. Floryan Varennes, par un processus d’inversion, intervertit les vides et les pleins. Les grilles de cuir deviennent alors filets qui enserrent leur proie, courroies de bondage, liens concrets d’une relation typique de soumission-domination et se réfèrent à des supplices anciens, tels que les techniques de garrottage ou différentes formes de crucifiements. Visuellement, ces tressages de cuir s’apparentent à des pratiques d’enfermement, de ligotage et d’usage de camisoles ou autres sortes d’accessoires de contrainte.
Le cuir reste le médium employé par l’artiste durant cette résidence de territoire au cours de laquelle il a bénéficié du matériel nécessaire et de l’appui d’une équipe technique de maroquiniers. C’est ainsi qu’il a réalisé un mur élaboré de plaques de cuir, molletonné en volume, serties de rivets, rappelant l’idée de la herse médiévale qui ici clive l’espace telle une grille visuelle. Ces coussins de cuir assemblés convoquent également dans leur structure l’image d’une armure lamellaire réalisée à partir d’écailles de cuir, très utilisée durant le haut Moyen-Age jusqu’à la fin du XIe siècle. Mais ici, la qualité de la peau employée, son aspect noir verni qui accroche et reflète la lumière, crée l’oxymore visuel d’une prison sensuelle. Le matériau lui-même dans sa dimension haptique donne une perception tactilo-kinesthésique qui dégage un effet véritablement physique, voire charnel.
Cet assemblage de cuir noir molletonné est accompagné de meurtrières modulaires, translucides et fragmentées, sur lesquels sont disposés de multiples éléments. Leur disposition fait référence aux protections qui constituent l’équipement du chevalier mais aussi à la parure de la dame, sous-vêtements matelassés, atours, plastron, épaulières, harnais, caparaçon… Ils sont flanqués, de doubles manches ornées d’un délicat travail de broderie perlée dont les motifs en croix et en suspension reprennent les crevées médiévaux ; ainsi Floryan Varennes décloisonne la typologie des vêtements qui en ressortent unisexes, voire intersexes.
Delectatio Morosa est le nom d’un état de l’amour courtois, mais aussi celui que l’artiste a décidé de donner à cette pièce de cuir noir (notre photo d’ouverture). L’expression latine delectatio morosa désigne cette expérience psychique qui lie en un rapport étroit le plaisir au désir, entre les conceptions des théologiens et l’érotique des troubadours au début du XIIIe siècle. Elle évoque la complaisance qui s’attarde à savourer le plaisir inhérent au désir lui-même porté à l’extrême, que l’amant courtois goûte fantasmatiquement dans la longue désirance de sa dame interdite et inaccessible. La herse visuelle associée au fort pouvoir sensuel du cuir noir joue métaphoriquement sur cette notion du fantasme de l’imagination désirante, où l’amour tend vers son assouvissement et en même temps le redoute, comme la mort du désir. Tout est suspendu à cette attente dans laquelle se ressent le plaisir dans le désir d’un objet qui demeure absent, parce qu’inaccessible ou interdit.