Biennale Némo 2015 – L’art numérique au bon tempo

Jusqu’ici festival annuel, Némo devient cette année la Biennale internationale des arts numériques. Avec la création sonore pour moteur, la manifestation met en lumière le dynamisme d’une scène artistique transdisciplinaire en Ile-de-France. Petit tour d’horizon du programme dont le coup d’envoi sera lancé ce jeudi 1er octobre au Trianon, à Paris.

Depuis plus de 15 ans déjà, le festival annuel de la bit génération, Némo, fomenté par l’Arcadi (Aide régionale à la création artistique en Ile-de-France), confronte les créations pluridisciplinaires qu’elle soutient aux productions plébiscitées par la scène internationale des arts électroniques. Cette année, Némo prend la forme d’une biennale se déroulant sur quatre mois, et fédère plus de 50 espaces d’exposition, de diffusion, et d’expérimentation en région parisienne. Des médiathèques, des théâtres, des salles de concerts, un lieu de culte… qui depuis longtemps relayent une recherche artistique à la croisée des arts visuels, du spectacle vivant et des musiques expérimentales, participent, au même titre que La Philharmonie, l’Ircam ou les scènes nationales de Créteil, Nanterre, Evry et Colombes, à la richesse d’une programmation artistique exacerbée par le son.

Harmonie et télescopage d’une onde

C’est à Paris, le soir du 1er octobre au Trianon, que doit être donné le coup d’envoi de la manifestation avec la nouvelle performance audiovisuelle du compositeur et VJ – Vidéo-Jockey – britannique Tom Jenkinson : intitulée Squarepusher (notre photo d’ouverture), elle a été créée récemment au Barbican Center de Londres. Elle sera suivie d’une nouvelle mise en scène, Recession, signée par le duo français 1024 Architecture ; spécialiste du mapping, il nous livre ici, après Euphorie et Crise le dernier volet d’une trilogie. La soirée devrait se terminer par une déflagration de forces telluriques, Seismik, orchestrée par le Québecquois Herman Kolgen, figure iconique du festival dont les habitués se souviennent des plasticités microscopiques de Dust ou de la qualité photographique des aquosités d’Inject.

Jacques Perconte et Jeff Mills
Extension sauvage, Jacques Perconte et Jeff Mills.

Amateurs de noise, de glitch, de scratch et de Bruits Blancs – du nom du festival dont le cinquième volet se tient du 19 au 21 novembre à L’Anis Gras, à Arcueil –, cette édition 2015 est pour vous ! La plupart des artistes dont les créations sont mises en exergue : Félicie d’Estienne-d’Orves, Antoine Schmitt, Nicolas Maigret, Joanie Lemercier ou Olivier Ratsi, pour ne citer qu’eux, appartiennent à cette génération qui place à un même niveau d’exigence l’expérience visuelle et sonore, ce à travers des œuvres collaboratives : le duo Schmitt-Vigroux nous promet ainsi la tempête (Tempest), un déferlement de particules sonores et de pixels en mouvement, dont la fluidité et l’intensité traversent le corps et libère l’esprit. Célèbre pour ses paysages compressés jusqu’à l’abstraction, Jacques Perconte s’associe au compositeur de Détroit, Jeff Mills, et au violoncelliste de l’Ensemble Intercontemporain pour nous livrer une pièce inédite. Toutes ces Turbulences Numériques, attendues à La Philharmonie les 9 et 10 octobre prochains, risquent cependant de se jouer à guichets fermés ; preuve s’il en fallait de l’existence bien réelle d’un public qui, depuis la Messe pour le temps présent (1967) de Pierre Henry, s’est reproduit et a décuplé ! La rencontre transgénérationnelle du patriarche de la musique électroacoustique et du metteur en scène Thierry Balasse se joue à la Maison de la musique de Nanterre – dans l’après midi du 4 octobre – avec trois compositions significatives, pour une installation monumentale de haut-parleurs, un piano préparé, un gant de larsen, un spatialisateur et un orchestre pop ! On y retrouve une très belle pièce musicale et graphique – Satori, présentée le 13 octobre – de Félicie d’Estienne d’Orves et du compositeur Etienne Jaumet, improvisant sur des architectures d’ombres et de lumière conçues comme des passages vers de nouveaux mondes.

Nouvelle vague à l’Espace Cardin

Bruyant
Iter (Festival Transient), Bruyant.

La tendance « électro-lives » se confirme cette année, avec la deuxième édition du Festival Transient, qui connecte trois lieux – dont un encore tenu secret fin septembre – sur quatre jours au mois de novembre : Les Instants Chavirés de Montreuil – petite salle historique d’une exploration musicale électroacoustique chronique – proposent notamment Croix, nouvelle création signée Franck Vigroux et Antoine Schmitt, en ouverture le 5 novembre ; l’Espace Cardin, face b des Champs-Elysées, accueille plus de cinquante artistes les 6 et 7 novembre : des personnalités confirmées de la scène électronique internationale, comme Murcof ou Monolake, y côtoieront les tout nouveaux talents de la performance AV (audiovisuelle), appelée aussi « expanded cinema » ou, plus prosaïquement, « VJing » dans le langage du club. Qu’il s’agisse d’art vidéo détourné, d’abstractions visuelles, d’objets 3D générés en temps réel ou d’installations interactives, toutes ces interférences entre le son et l’image déploient un large panorama d’une créativité qui s’exprime tant visuellement que par la diversité des écritures sonores – noise, drone, electronica, etc. –, souvent réduite au terme globalisant de « techno ». Le dimanche 8 novembre est en accès libre et la génération en herbe est conviée à la fabrication de nouveaux instruments et aux joies du bidouillage électronique – le « circuit bending » – !

Parallèlement, le nouveau centre de création et de résidence artistique de Poissy, le Château Ephémère, invite les tout petits et leurs parents à se pencher sur des câbles et des circuits imprimés – dès le samedi 7 novembre – pour transformer des robots ménagers en instruments de musique, tandis qu’au Centquatre, à Paris, une grande exposition chaotique – Prosopopée, du 5 décembre au 31 janvier – se prépare à donner la parole aux objets connectés : œuvres d’art, ready made ou mobilier animés rendront hommage à l’esprit de K Dick ! Mais nous en reparlerons.

L’essence numérique : source et conséquence

Nicolas Maigret
Drone 2000 (performance), Nicolas Maigret.

En attendant les révélations du langage, plusieurs expositions sous-tendent d’autres questionnements artistiques sur un mode plutôt down tempo, pour ne pas dire désenchanté : à la Maison populaire de Montreuil, le commissaire Dominique Moulon convoque les œuvres de Renaud Auguste-Dormeuil, Aram Bartholl, Valérie Belin, Laurent Bolognini, Thibault Brunet, Jean-Benoit Lallemant, Bertrand Planes, Rafaël Rozendaal et Clément Valla, pour une sensibilisation aux limites du virtuel : L’art et le numérique en résonance (3/3) : conséquences est une expo ouverte du 7 octobre au 12 décembre. Au Pavillon Vendôme de Clichy, l’artiste et commissaire Nicolas Maigret dénonce la fragilité des infrastructures numériques qui nous surveillent et nous formatent. Global Proxy a ouvert ses portes le 18 septembre et réunit les travaux de Jérôme Fino, Jérémy Gravayat, Brendan Howell, Yann Leguay, Ivan Murit, Maria Roszkowska, Cécile Beau et de Nicolas Montgermont ; une visite guidée est programmée le dimanche 11 octobre à 16 h. Et pour nous rappeler combien les jouets high-tech tant prisés à Noël sont dérivés de la recherche militaire, Drone 2000, une performance collective joyeusement anxiogène, est organisée le 29 novembre par le commissaire Maigret en personne !

Alors que les technologies numériques nous confèrent le sentiment d’ubiquité tout en contribuant au confinement de nos déplacements, un colloque et une exposition, proposés par Isabelle Arvers – co-commissaire du symposium « AntiAtlas des frontières », qui s’est tenu à Aix-en-Provence et Marseille en 2013 –, posent la question du point de vue géopolitique : « La fin des cartes ? Territoires rêvés, territoires normalisés » est accueilli du 18 au 20 novembre par l’Ecole nationale supérieure d’architecture de Belleville.
Retour au corps, le dernier des territoires qu’il nous faut défendre : au Cube d’Issy-les-Moulineaux, l’exposition Métamorphosis – du 3 novembre au 16 janvier –, porte un regard d’artiste(s) sur les transformations physiques que permet le numérique. Dans le cadre du cycle « Les futurs de l’art », le passionnant Yann Minh, père de la Noosphère, y donne une conférence le soir du vernissage.
Faut-il davantage marier l’art et la science ? La diagonale Saclay ne se pose pas la question : le festival Art-sciences CURIOSITas – dont la première part se tient ce dernier week-end de septembre sur le campus du CNRS de Gif-sur-Yvette – nous convie, le 17 octobre, à une présentation des œuvres conçues et réalisées par des équipes transdisciplinaires. Par ailleurs, Co-Workers: Beyond Disasters, le projet mené conjointement par Bétonsalon et le Musée d’art moderne de la Ville de Paris, « s’appuie sur la puissance spéculative du récit et de la Science fiction pour repenser nos manières d’habiter notre environnement ». C’est au centre d’art et de recherche du XIIIe arrondissement que sont réunies – du 7 octobre au 30 janvier – les œuvres de la vingtaine d’artistes invités pour l’occasion, dont celles d’Antoine Catala coproduites par la Biennale.

Hommage à la lumière

Fiat lux ! Pour se remettre de toutes ces dystopies, c’est à Evry, par l’entremise de l’association Siana, qu’il faut retrouver la lumière par laquelle tout a commencé. Sa magie, ses fantômes, sa poésie, son esprit : une dizaine d’artistes – Laurent Pernot, Cai Kai, Tomek Jarolim, Damien Aspe, Hugo Arcier, Bathélemy Antoine-Loeff et Meris Angioletti –, lui rendent hommage dans le cadre de l’exposition Fréquences-essences, conçue en 2014 par la GameLab Agency pour le Festival Croisement en Chine. La lumière nous revient d’Asie, du 15 octobre au 21 novembre, alors qu’un débat, entre le socio-anthropologue Edgar Morin et le médecin biologiste Patrick Curmi s’intéressera à ce bien précieux qu’est la mémoire de la vie – qu’elle soit passée, présente ou à venir – ; une discussion à suivre entre 18 h 30 et 20 h, le 20 novembre au Théâtre de l’Agora, à Evry.

Encore bien d’autres lieux sont à découvrir lors de cette biennale. Parmi lesquels le Générateur de Gentilly, haut lieu de la performance connu pour ses [Frasq], où Némo vous invite, dans la nuit du 24 octobre, à rencontrer Nicolas Moulin, plasticien des détournements photographiques, des ombres et des architectures utopiques, pour un concert de 5 heures – donné sur une scène ouverte à 360° – entouré de collaborateurs du label Grautag qu’il a fondé à Berlin. Sans oublier, enfin, le soutien apporté par la Biennale à la deuxième édition de Variation, une foire exclusivement dédiée aux arts médias organisée pendant la Fiac. Curieux et collectionneurs, à vos marques et rendez-vous à l’Espace des Blancs-Manteaux, du 19 au 25 octobre !

Herman Kolgen
Link.C, Herman Kolgen.

Contact

La Biennale internationale des arts numériques Némo se tient du 1er octobre au 31 janvier 2016. Tout le programme sur http://biennalenemo.arcadi.fr.

Crédits photos

Image d’ouverture :  Squarepusher © Tom Jenkinson – Extension sauvage © Jacques Perconte et Jeff Mills – Iter © Bruyant – Drone 2000 © Nicolas Maigret – Link.C © Herman Kolgen

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