Au Musée Maillol, le néant dialogue avec l’éternité

Le deuil sied à notre siècle comme il sied à Electre ; la représentation de la mort ne cherche plus à exorciser ou conjurer, elle se galvaude, ironise et se moque, ou provoque. Des eaux sulfureuses du Styx, de l’au-delà, des poussières de diamant s’incrustent sur fond de nuit éternelle (For the Love of God, Laugh de Damien Hirst) ; des diamants qui, nous promet-on, seraient eux aussi éternels… Et blessure hurlante, tranchant à vif dans la pénombre, scintille cette enseigne lumineuse formée des lettres « Rien » (crâne en néon de Jean-Michel Alberola)…  où tout est dit ! Cette Vanité-là, toute en dérision, n’a cure d’esthétisme : une publicité au néon dédiée au néant ! Du premier siècle à notre ère, du Caravage à Niki de Saint Phalle, avec une étape flamboyante au temps des Lumières, la mort et son cortège affublé d’oripeaux divers a accompagné nos sociétés en quête de rédemption mais n’oubliant jamais de s’étriper.

Collection particulière © Jean Alex Brunelle / Adagp, Paris 2010

Ce sont plus de 160 œuvres, peintures, sculptures, vidéos, photographies, bijoux, objets qui en témoignent ici. Mais au rappel de la précarité de la vie, de l’impermanence, du temps qui passe a succédé l’absurdité de l’existence ; aux Danses macabres de la guerre de Cent Ans où se mêlent morts et vivants, à une fin du monde annoncée, aux famines et à la peste noire du Moyen Age a succédé la société du spectacle ; la mort s’est en quelque sorte banalisée, et même virtualisée. Elle s’est aussi désacralisée. Le monde de Dieu devait alors passer par la mort avant de rejoindre celui des vivants… Le memento mori (« Souviens-toi que tu mourras ») et les calaveras mexicaines sont autant de rappels à l’ironie de nos ambitions, à l’inéluctable qui se prépare et nous attend, nantis ou pauvres, simples d’esprit ou grands de ce monde. La Tête de mort II de Niki de Saint Phalle en polyester, sous son maquillage en noir et blanc, est à ce point sophistiquée qu’elle en devient comme apprivoisée, presque glamour sinon rassurante, en tout cas loin d’effarer nos têtes blondes. Les crânes de Georg Baselitz, de Subodh Gupta, de Miguel Barceló  ou de Yan Pei-Ming et Jim Dine, s’ils ne sont hantés par la Camarde, s’en voudraient de lui prêter bouche édentée et regard affligé du néant. En respectant sa pudeur par-delà l’éternité, ils lui restituent ses lettres de noblesse, sa sombre séduction. On se prendrait à vouloir baiser au front ces crânes-là ! Mais  déjà si loin des XVIIe et XVIIIe siècles si prolixes en Vanités, bijoux et objets, les créateurs en vogue du XXIe siècle continuent de nous interpeller afin, peut-être, que la « Grande Faucheuse » ne nous prenne par surprise ou, qui sait, pour nous éviter de trop y penser ? La Shoah, le sida, les totalitarismes, les menaces terroristes et écologiques sont passés par là et continuent d’abandonner à travers les continents leurs funestes empreintes. Et la représentation artistique qui se voulait au plus près de la réalité, quitte à la contester ou à la contourner, découvre que le virtuel, subrepticement, la cancérise.

Collection particulière © Jean-Alex Brunelle

Il y a quatre ans, l’exposition au Grand Palais, « Mélancolie, génie et folie en Occident » avait attiré un public que fascinait le « noir soleil » de Nerval. La mort qui était résurrection – cette mort apprivoisée –, semble désormais avoir égaré son billet d’entrée pour l’éternité, mais a conservé tout son prix à l’étal du marché planétaire, et le néant n’en poursuit pas moins son dialogue avec l’éternité. La valeur marchande d’une œuvre peut atteindre des sommets, même lorsqu’elle n’est constituée que de modestes matériaux comme cette Gants-tête en gants de laine percés de crayons de couleur d’Annette Messager. Le vertige de l’argent compose avec le vertige de la mort. Et les crânes aux mâchoires chamboulées, aux yeux excavés peuvent garder longtemps encore leur hideux sourire, le poète est là pour nous rassurer : « Rien n’est mort que ce qui n’existe pas encore » disait Apollinaire.

Contact

C’est la vie ! – Vanités, de Caravage à Damien Hirst, jusqu’au 28 juin Fondation Dina Vierny – Musée Maillol, 59-61, rue de Grenelle, 75007, Paris, France.
Tél. : 01 42 22 59 58 www.museemaillol.com.

Crédits photos

Skull © Courtesy Loïc Malle, A.A.S Paris © Jean Alex Brunelle / The Andy Warhol Foundation for the Visuals Arts, Inc. / Adagp, Paris 201,Crâne (version orange) © Collection Bruno Frisoni © Adagp, Paris 2010,Tête de mort II © Collection particulière © Galerie JGM / 2009 Niki Charitable Art Foundation / Adagp, Paris 2010,Sans titre © Collection particulière © Jean-Alex Brunelle,Crâne © Collection particulière © Jean Alex Brunelle / Adagp, Paris 2010,Crâne aux papillons © Collection particulière © Jean-Alex Brunelle / Adagp, Paris 2010,Gants-tête © Collection AM et M Robelin © Courtesy Galerie Marianne Goodman, Paris / Adagp, Paris 2010,Les trois crânes © Musée Girodet, Montargis © Jacques Faujour,La Sainte famille à poil, nature morte pour Carême © Collection particulière © D.R. / Adagp, Paris 2010,Saint-François en méditation © © Private collection courtesy of Whitfield Fine Art, London,Homme au crâne © Fonds de dotation Bernard Buffet © Galerie Maurice Garnier / Adagp, Paris 2010,L’Atelier au crâne © Collection particulière © Sotheby’s / Adagp, Paris 2010,Bague «Alchimie», modèle des années 1940 © Collection particulière, courtesy Codognato © Andrea Melzi,Carrying the skeleton I © Collection particulière © Adagp, Paris 2010

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