Aux Etats-Unis, il est un « outsider ». En France, plutôt un « singulier ». Gérard Cambon s’amuse de toutes les étiquettes. Il ne ressent aucun besoin d’entrer dans une case et trace sa voie sans souci d’appartenance mais en accordant une importance extrême au regard de l’autre. De celui qui observe ses œuvres, il attend beaucoup. Attentif aux interprétations que chacun voudra bien lui confier. L’artiste est fasciné par les différentes visions d’un même travail. S’il adore ces plongées en imaginaire profond, il n’a rien à voir avec ces créateurs qui refusent de parler de leurs œuvres et s’amusent d’interlocuteurs emberlificotés dans des explications fumeuses. L’artiste est un adepte de l’art interactif ! Il propose, les autres disposent. Plus intéressé par les histoires que se racontent les visiteurs que par celle qui a présidé à la naissance de ses bas-reliefs, locomobiles et autres inventions à roulettes. Persuadé que l’imagination est le moteur de l’existence, il se permet toutes les audaces pour qu’elle s’envole. Imaginer, c’est déjà rêver. Présent pour la onzième année consécutive à l’Outsider Art Fair à New York, Gérard Cambon poursuit actuellement son séjour américain à Chicago où est installée la galerie Judy A. Saslow qui le représente outre-Atlantique et lui consacre tous les deux ans une exposition. Pendant ce temps à Cavaillon, plusieurs dizaines de ses pièces occupent le bel espace de la chapelle du Grand Couvent. Le poétique titre, Rêves pour plus tard, est aussi celui d’un livre récent de photos de sculptures de l’artiste. Un tel foisonnement d’actualités méritait bien quelques questions.
ArtsHebdo|Médias. – Exposer aux Etats-Unis était un objectif ?
Gérard Cambon. – Non. En 2000, j’ai profité d’un voyage d’agrément à New York pour rencontrer quelques galeristes, en prenant cela comme un jeu, avec insouciance et naiveté Dans la première galerie, Cavin Morris, j’ai refusé de laisser mon book sous prétexte que je n’en avais qu’un… C’était une incroyable maladresse, je crois que la galeriste qui me faisait une faveur n’en est pas encore revenue ! Dans la deuxième, Ricco-Maresca, j’ai obtenu une recommandation pour une troisième, l’American Primitive gallery et son vieux sage Aarne Anton, qui m’a donné ma chance en présentant deux pièces. Rien ne s’est passé pendant plusieurs mois, jusqu’au coup de fil m’annonçant leur vente et le souhait du galeriste de m’exposer le mois suivant à l’Outsider Art Fair. C’était un rêve éveillé. Même si désormais je travaille depuis plus de 5 ans avec Judy A. Saslow de Chicago, j’y reviens chaque année avec le même plaisir. Un petit nombre d’autres artistes Français vivants y sont présentés comme, par exemple, Michel Nedjar, Joël Lorand et Marc Bourlier, qui exposent comme moi chez Béatrice Soulié à Paris. J’adore retrouver l’ambiance de cette foire. A chaque fois j’y découvre des œuvres qui me fascinent. L’an dernier, j’en suis reparti avec une statuette de Terry Turrell et cette année j’ai été fasciné par un grand dessin de Bill Traylor qui n’était pas dans mes moyens…
Parlez-nous de Rêves pour plus tard…
Rêves pour plus tard… a vu le jour grâce aux Editions Grandir de Nîmes. Chaque année, elles proposent à un artiste de rejoindre leur collection pour enfants. Nous devons déjà être une bonne dizaine à y avoir participé. Sabrina Gruss et Jephan de Villiers m’ont précédé dans cette aventure. L’éditeur donne à chacun un cahier des charges identique : un format carré, 34 pages, pas de texte. Le livre est destiné aux écoles, aux bibliothèques, aux librairies spécialisées pour enfants. Une diffusion qui m’intéresse et un éditeur qui mérite qu’on le soutienne.
Le titre est de vous ?
Oui. C’est une incitation à aller de l’avant, à se projeter dans l’avenir. L’imaginaire permet d’avancer. Créer sa bulle pour rêver, c’est se protéger pour mieux se projeter dans la vie. Avoir un jardin secret, c’est se soustraire aux agressions du quotidien pour mieux faire naître des projets. Il ne s’agit pas de faire la révolution mais de cultiver une approche personnelle des choses, de construire un univers.
C’est votre premier livre. Que pensez-vous de cette expérience ?
Ce projet a démarré en juin dernier. Je suis allé chez l’éditeur travailler avec la graphiste, ce fut un travail d’équipe basé sur la discussion. Je souhaitais faire une présentation équilibrée de mon travail, le montrer sous ses différentes formes. Le résultat répond à mes attentes et ce premier livre m’a donné envie d’en faire un autre qui pourrait s’intituler Intimité et serait uniquement constitué de détails. Il révélerait des ambiances, des références cinématographiques. Mon travail évolue dans ce sens. Je propose des décors, des dialogues, des mises en scène, mais c’est à l’observateur de se faire son cinéma. A partir de ces éléments, il doit laisser surgir des évocations soufflées par son propre imaginaire. Chacun regarde à travers son prisme, un peu comme s’il était un kaléidoscope. Mon objectif est de créer des émotions.
L’exposition à Cavaillon reprend le titre du livre ?
Effectivement. Ce titre a plu aux organisateurs, le livre aussi d’ailleurs, et ils ont souhaité qu’une grande partie des œuvres que l’on y voit soit présentée à la chapelle du Grand Couvent, un site classé magnifique. Ce sont les deux seules choses qui rattachent ces deux initiatives. L’exposition est organisée par la mairie de Cavaillon qui souhaite valoriser le patrimoine historique de sa ville. Elle a confié l’initiative au galeriste Richard Nicolet qui a investi les lieux une première fois à l’automne dernier avec les œuvres de Marc Pérez et dont il faut saluer le très beau travail de scénographie. Le succès de la manifestation a poussé la municipalité à mettre en place un dispositif pérenne qui va permettre à ce très bel espace de vivre tout au long de l’année. De beaux projets sont à l’étude.
Les visiteurs peuvent-ils y découvrir le désormais célèbre défilé de locomobiles ?
Pas cette fois ! Le défilé est un exercice intéressant, mais associé à de grands bas-reliefs, l’accumulation peut s’avérer gênante ; les locomobiles, par exemple, se neutralisent l’une l’autre, on perd la lisibilité de chacune des sculptures. L’intérêt de la chapelle du Grand Couvent est de sortir de la logique des petits espaces où chaque sculpture est présentée comme un objet et d’obtenir une vue d’ensemble sans pour autant annihiler la personnalité de chacune des pièces. J’avais envie d’un effet plus « muséal ».
Quoi de neuf dans le « petit monde » de Gérard Cambon ?
De nouvelles pièces et plus de couleurs ! C’est le « Flower Power » à retardement ! Je plaisante mais globalement, il y a des choses plus colorées et davantage de végétaux. J’ai notamment trouvé une technique pour conserver les oranges et les mandarines. Je cherche toujours la fusion des éléments. C’est essentiel. A partir de ma pâte, de mon matériau de base, j’intègre à tout-va : dernièrement, une dent de cachalot, des graines de baobab, des coquillages, des moules géantes du Chili, des graines d’eucalyptus… Toutes ces choses qui n’ont pas vocation à être ensemble, eh bien, on essaie de les rassembler et un petit miracle se produit de temps en temps.
Racontez-nous le dernier.
Le dernier s’est produit avec une forme en bois qui servait dans le temps à confectionner des chaussures. Elle est venue se poser au millimètre près sur un patin à roulettes. Puis une demi-paire de lunettes s’est transformée en toit et un porte-cigares en cuir trouvé à Bruxelles est venu servir d’habitacle à mes petits personnages. Cinq pièces qui se sont assemblées comme par magie. Dans ces moments-là, je suis presque spectateur, il y a un coté qui m’échappe. Il est difficile aujourd’hui d’imaginer qu’au départ elles n’ont rien à voir les unes avec les autres. Le but… c’est la fusion des éléments !