A Paris – L’utopie d’Alicia Paz

Déclarée « artiste de l’année » par le Champagne Nicolas Feuillatte, Alicia Paz expose actuellement à l’Instituto Cultural de México, à Paris, jusqu’au 28 septembre avant de rejoindre, à quelques rues de là, la galerie Dukan du 5 octobre au 9 novembre. Un automne bien parisien pour cette artiste née au Mexique et désormais installée à Londres.

Elle ondule et s’élève dans les airs comme un serpent se dresse. Elle n’a ni pieds, ni jambes, mais des anches qui se laissent deviner. D’un décolleté plongeant émerge un cou diaphane. Son port de tête est impérieux et en guise de chevelure, des flots de tentacules fleuris et colorés s’échappent. Les femmes d’Alicia Paz appartiennent à une mythologie. Elles évoluent dans un monde d’exubérance de formes, de matières et de couleurs. A l’Instituto Cultural de México, à Paris, elles habitent l’espace et occupent l’esprit. Ce travail en trompe-l’œil, généreux et mystérieux, déploie des récits épiques où de petits personnages viennent apostropher des géantes, où des sculptures antiques imposent leurs silhouettes hiératiques à la luxuriance d’une végétation de rubans, de perles et de fleurs, où des têtes sans corps poussent au gré de l’ondulation d’un tronc… « Pour cette toile, je voulais faire des figures dans un arbre au cœur d’un jardin. Quelque chose entre le végétal et l’humain.  J’ai travaillé à l’instinct. Parfois j’utilise un modèle comme structure de base que j’habille avec mes personnages et mes textures. J’avance sans préméditation. La petite fleur, là, je l’ai ramassée sur un trottoir. » Dans le quartier de Londres, où est installée l’artiste, il n’est pas rare qu’elle trouve de petites choses égarées par un faux mouvement, un moment d’inattention. C’est ainsi que s’accumule dans l’atelier une jolie collection de gants dont certains trouvent leur place dans une épopée de peinture.Des livres en russe et en norvégien

« J’ai toujours aimé le dessin », explique d’emblée l’artiste. Née à Monterrey dans le nord-est du Mexique, Alicia est toujours la première à lever la main quand il s’agit de créer. Dans l’établissement qu’elle fréquente, plusieurs heures sont consacrées chaque semaine à la pratique artistique. « J’étais dans une école de filles tenue par des religieuses. Nous étions quarante-cinq par classe ! Nous dessinions souvent et systématiquement je rapportais mon travail à la maison pour l’améliorer. » Chez elle, l’univers est également très féminin. Alicia a quatre sœur, des cousines, des tantes : une joyeuse et pétillante compagnie qui marque son imaginaire. « Grandir au milieu de toutes ces femmes est probablement à l’origine de cette utilisation quasi exclusive de la figure féminine dans ma peinture. » Si elle pousse au même rythme que les autres enfants de son âge, deux personnes l’entraînent sans le savoir sur le chemin de la création : son beau-père, illustrateur, qui possède un bureau-atelier dans la maison familiale, et sa tante Toto, qui arrive toujours les bras chargés de cadeaux improbables, livres en russe ou en norvégien, marionnettes à main… Le premier, en dehors des commandes qu’il honore, réalise des aquarelles et des gouaches, ainsi que des dessins de plantes dans un esprit très naturaliste. La seconde est l’originale de la famille. La bibliothèque de livres magnifiquement illustrés qu’elle contribue à remplir nourrit en continu l’univers visuel de sa nièce. Imprégnée d’une culture à la fois littéraire et artistique, c’est plus au Nord qu’Alicia décide de poursuivre ses études. A 17 ans, elle rejoint San Francisco, la ville natale de sa mère où vivent toujours ses grands-parents. « A l’université de Berkeley, j’ai suivi deux cursus, l’un en art et l’autre en sociologie. Je pensais me diriger vers la télévision ou la publicité. Une carrière d’artiste me semblait trop à la merci du facteur chance. » Seulement, les sévères et répétées critiques des médias assénées par des professeurs très engagés l’en dissuadent et Alicia, masters en poche, accepte un poste de bibliothécaire au Musée d’art moderne de San Francisco et un autre à la Bedford collection. « Je devais choisir et acheter des livres en relation avec les activités des institutions qui m’employaient. La fréquentation des œuvres d’art moderne et contemporain m’a beaucoup apporté. Je tournais autour de l’art sans vouloir m’y plonger. » A cette époque, Alicia Paz n’a ni atelier, ni pratique quotidienne. Elle a 20 ans et peur de se lancer.

Alicia Paz
The Super Ego, the Id, and their ladies in Waiting, Alicia Paz
Alicia Paz courtesy galerie Dukan
String Hair, Alicia Paz, 2013

Sur le campus de Berkeley, elle rencontre Michel, étudiant chercheur en génie chimique. Il est français. Bientôt, ensemble, ils décident de s’installer à Paris. La France n’est pas une terre inconnue pour la jeune femme, qui a passé un an à Bordeaux durant ses études. Arrivée dans la capitale française, elle reprend des cours de dessin, passe le concours de l’Ecole nationale supérieure des beaux-arts (ENSBA) sans succès et intègre la maîtrise en Arts plastiques de l’université Paris 1. « Je ne connaissais personne. Je peignais seule dans une des pièces de notre appartement. Les cours à la Sorbonne étaient passionnants, mais je ne m’attendais pas à ce que l’accent soit autant mis sur la théorie. Je n’ai pas soutenu le mémoire. En revanche, j’ai tenté de nouveau d’entrer aux Beaux-Arts et cette fois, ça a marché ! » Alicia Paz entre directement en troisième année. Nous sommes en 1992. Elle a 25 ans. Durant quatre ans, la jeune artiste profite de tous les moyens mis à sa disposition. Voyage aussi. Séjourne notamment à Berlin et à New York dans le cadre d’échanges entre grandes écoles d’art. Quelle ne fut pas la surprise outre-Atlantique d’entendre dans la bouche d’une étudiante venue de France un accent américain plus vrai que nature ! « J’ai profité d’un enseignement très international et travaillé avec de nombreux artistes invités. Durant ces quatre années, j’ai visité énormément d’expositions et découvert l’histoire de l’art européen, dans lequel j’ai puisé de nombreuses références pour mon travail. Je citais le tableau et le repeignais, tout ou partie, à ma manière. En cette fin des années 1990 en France, la peinture n’était pas à la mode. Il fallait trouver des positions pour être acceptée. » Sentiment de culpabilité en bandoulière, la jeune femme n’est pas toujours très à l’aise. « Je me souviens avoir rencontré Christian Boltanski auquel j’ai demandé de m’excuser car je faisais de la peinture… Il m’a dit qu’il n’avait pas à le faire, que c’était parfait. Lui, était ouvert, mais globalement la peinture était mal vue. Il me semblait souvent évoluer dans un labyrinthe. »

Pour le concours d’entrée, Alicia Paz avait présenté des toiles très influencées par l’Ecole de San Francisco et ses peintres dont les premiers d’entre eux David Park, Richard Diebenkorn et Elmer Bischoff. Pour son diplôme de fin d’études, l’artiste et l’acte de peindre sont mis en scène. Deux thèmes qu’elle travaillera sans cesse jusqu’à aujourd’hui. « Il y a souvent dans mes peintures, un personnage qui peint. Je l’utilise comme une marionnette, comme si j’étais un ventriloque qui parle à travers lui. Finalement, c’est comme si j’avais une triple identité. J’endosse celle du peintre auquel j’emprunte un sujet, celle de l’artiste qui peint dans mon tableau et, enfin, la mienne qui peint celui qui peint ! Un peu comme si je m’accaparais ces trois subjectivités. » Yves Michaud puis Alfred Pacquement, tour à tour directeurs de l’ENSBA, soutiennent son travail. Afin de respecter la tradition, une fois diplômée, Alicia doit donner une œuvre à la collection des Beaux-Arts. « Je voulais en offrir deux : un lapin rose qui peignait et une petite femme masquée. Elle avait un loup noir très fin. Le directeur a préféré le première toile car il m’a expliqué ne pas voir le lien de l’autre avec mon travail de l’époque. » Dommage, car aujourd’hui les cimaises débordent de ces figures féminines portant l’artifice essentiel des Vénitiennes les soirs de carnaval. « C’est quelque chose qui est revenu plus tard dans ma peinture et aujourd’hui, il y en a partout ! Pour moi, l’idée du masque a toujours été présente, même métaphoriquement. Peindre à partir de représentations appartenant à d’autres était déjà une façon d’avancer masquée ! Je me cachais derrière un langage existant pour créer un métalangage. » 

Les différents possibles d’une même réalité

Trois ans et quelques expositions plus tard, l’artiste embarque pour la Grande-Bretagne. L’aventure continue. « Nous sommes partis pour le travail de mon mari et aussi parce que je voulais faire un master là-bas. Ça n’a pas était simple. L’enseignement du Goldsmiths College est très exigeant. J’étais trop française, trop polie. Ils m’auraient voulu plus trash ! » Pourtant, une fois encore l’obstacle est surmonté et la course au diplôme terminée. Depuis lors, Alicia Paz, devenue maman, travaille dans son atelier londonien et expose des deux côtés de l’Atlantique. « Léo a 10 ans. Il ne dessine pas, mais il a une âme d’artiste. Il aime les mots, la musique. C’est plus acteur ! » Depuis 2004, l’artiste ne peint plus que des figures féminines, qui malgré le faste environnant captivent par leur regard. « Les yeux sont très importants », souligne-t-elle. Miroir de l’âme pour le poète, ils viennent témoigner de la réalité de l’être caché derrière cet enchevêtrement coloré de pièces et d’objets qui lui servent de costume ou de paravent. Parfois, l’acrylique coule, histoire de nous rappeler qu’il s’agit bien là de peinture et de montrer l’artifice.

Dans l’espace de l’Instituto Cultural de México, des nouveautés. Comme échappées d’un tableau, Amaranth, Madama Butterfly, Punk et d’autres encore exhibent leurs silhouettes extravagantes. Taillée dans une plaque de contreplaqué selon un dessin, puis habillée de papiers savamment découpés et collés, chacune des pièces de la série Artistes possède un vêtement différent sur ses deux faces. Le visage peint à l’aquarelle et marouflé sur l’une n’est qu’une impression numérique sur l’autre. Alicia Paz aime jouer avec les apparences et l’œil du public. Elle s’amuse à offrir une nouvelle dimension à sa peinture en la projetant dans l’espace de la galerie. Ainsi sortie du mur, cette dernière reste plate et fonctionne comme une carte à jouer, comme un élément de décor. « C’est un travail entre la sculpture et la peinture. Ce que j’aime dans cette dernière, c’est qu’elle incarne une projection mentale. La sculpture est souvent trop vraie. Les pièces de cette nouvelle série ressemblent un peu à des bas-reliefs. J’aimerais poursuivre ce travail. Peut-être en l’exposant sur une scène de théâtre, où l’on pourrait utiliser la lumière pour projeter des ombres qui n’auraient pas la même forme que les silhouettes des Artistes et offriraient une extension de sens, plus sombre. » Et la peintre d’évoquer les théâtres d’ombres chinoises, des figures qui pourraient devenir monstrueuses, un musée de la mode comme potentiel lieu de mise en scène… Alors Alicia, qu’elle est donc cette histoire que tu nous racontes ? « Elle n’est pas écrite et n’a pas d’issue obligatoire », répond l’artiste. Avant d’ajouter : « Juste une amorce de ce qui pourrait se passer. Les différents possibles d’une même réalité. Presque une utopie. »

Alicia Paz courtesy galerie Dukan
La Géante, Alicia Paz, 2010

GALERIE

Contact
Jusqu’au 28 septembre à l’ Galerie Dukan, 24 rue Pastourelle, 75003, Paris, France.
Tél. : 06 61 93 49 29 &06 10 23 01 18 www.galeriedukan.com.
Egalement du 5 octobre au 9 novembre à la galerie Dukan 24, rue Pastourelle 75003 Paris. Tél. : 09 81 34 61 83 et www.galeriedukan.com
Crédits photos
Run Deep © Alicia Paz courtesy galerie Dukan,La Géante © Alicia Paz courtesy galerie Dukan,The Super Ego, the Id, and their ladies in Waiting © Alicia Paz,String Hair © Alicia Paz courtesy galerie Dukan,Amaranth © Alicia Paz courtesy Instituto cultural de Mexico/Photo MLD
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