Profondément attaché à l’espace méditerranéen, théâtre de son histoire familiale, Mehdi Meddaci développe un travail vidéo poétique et envoûtant, empruntant au champ de la photographie comme à celui du cinéma. A travers lui, il évoque notamment les notions de cycle, de mémoire, d’identités culturelles, mais aussi et surtout d’exil et cette forme d’entre-deux qui lui est inhérent. Le Centre photographique d’Ile-de-France, à Pontault-Combault, accueille actuellement Nous nous sommes levés, une exposition-installation réunissant plusieurs pièces autonomes et conçue par l’artiste comme une invitation faite au visiteur à la contemplation, mais aussi à l’(inter)action.
Devant un mur blanc, une pastèque est posée sur un bloc de béton. Un enfant s’approche, puis sort du champ ; il revient, avant de disparaître à nouveau. La scène a pour unique bruit de fond celui de ses claquettes en plastique bleu et des coups de feu, qui éclatent par intermittence et trouent progressivement le mur, jusqu’à la pétarade finale qui conduit à l’explosion du fruit. La pastèque est la première des quatre pièces déployées dans la salle principale du CPIF et constituant l’installation vidéo sonore Les yeux tournent autour du soleil, troisième projet de Mehdi Meddaci qui s’inscrit dans la continuité des deux précédents : Lancer une pierre (2008) et Tenir les murs (2011). L’artiste prend ici pour point de départ un souvenir d’enfance de son père, souvent conté par l’intéressé au fil des ans et des réunions familiales. « Ça s’est passé pendant la guerre d’Algérie. Mon père avait réussi à récupérer une pastèque sur laquelle des militaires s’amusaient à tirer. Pour lui, c’est un peu un exploit ; pour moi, c’est devenu comme un acte de résistance. »
Dans son travail, « tout part de la famille, des gens qui vivent autour, des territoires qui y font écho ». Mais, toujours, le propos s’élargit : « S’il est question d’exil, c’est en tant que question universelle. » Mehdi Meddaci est né en 1980 à Montpellier. Sa mère est française ; son père, d’origine algérienne, est arrivé en France avec ses parents en 1964, deux ans après la fin de la guerre. « A dix ans, j’ai commencé à poser des questions, à demander à aller en Algérie. » Peu de réponses sont données à l’enfant ; quant au voyage, il est inconcevable à cette période, tristement nommée Les années noires. Mehdi Meddaci grandit avec un manque certain d’images liées à son histoire, mais ne doute pas de son identité. « On évoque beaucoup cette notion avec l’Algérie, parce que c’est très fort, mais en fin de compte, c’est juste la nécessité de ma production d’images. » Ce qui l’intéresse en premier lieu, c’est cet « étirement entre deux espaces, très liquide, qu’on retrouve beaucoup ici. Je parle de territoires, de géographies politiques et sociales précises, mais c’est vraiment la notion d’intervalle que je travaille. Je mentionnais l’exil, il s’agit cependant plutôt de quelle trajectoire cela dessine et de quel intervalle ça creuse pour questionner la pensée. » Au cœur de cet entre-deux qu’il explore inlassablement, l’artiste introduit des présences, des corps qui se déplacent, se heurtent ; la parole, elle, est très rare.

Les yeux tournent autour du soleil est un volet de ses recherches restant ouvert, qui vient « amorcer un ensemble de propositions autour de la question de l’éclat, du rassemblement, précise-t-il. Il y aura une suite, en Algérie. Au début, je voulais d’ailleurs partir y travailler avec les communautés kabyles, mais je me suis rendu compte que c’était peut-être un peu tôt pour moi… »

Ouverte en divers points sur le reste de l’espace d’exposition, la salle où est projeté le film est emplie d’une centaine de chaises en plastique blanc agencées en ordre dispersé. Des haut-parleurs diffusant différentes créations sonores, ouvrant le récit vers un hors-champ – lequel « permet au spectateur de fabriquer son temps » –, sont installés à même le sol. « Le film est “mis à mal” afin de le rapprocher des autres pièces de l’exposition. Si on veut prendre une chaise pour aller s’assoir devant un autre film, ça me va, le bruit que cela engendrera me plaît. Ce n’est pas une sorte d’installation figée, au contraire. » Mehdi Meddaci aime situer sa pratique à la frontière du cinéma et de l’art, pour l’accès au champ des possibles offert ainsi à un large public. « Aujourd’hui, on ne regarde plus les images comme avant, ça va trop vite, il y en a trop, constate-t-il. Le hors-champ des photographies comme des peintures est mis à mal. Je voudrais essayer de le ramener dans la salle de cinéma – c’est un peu un cheval de bataille – et que des gens comme ma grand-mère puissent s’y retrouver. » Et de se rappeler sa première approche de l’art, à l’âge de 16 ans, par le biais d’ouvrages auxquels il ne comprenait pas grand chose. « C’est grâce à cette distance que j’ai su lire entre les mots. Le fait d’être perdu dans un espace – dont l’art peut être source – permet de créer de nouveaux chemins. » Durable et nécessaire entre-deux.