A Honfleur, la galeriste Danielle Bourdette a choisi de confronter les œuvres de deux chercheurs en humanité. Né en 1932, Serge Labégorre est l’un des plus importants peintres expressionnistes français. Il explore depuis toujours les visages et les corps par amour profond de l’humain. Jean-Yves Gosti utilise la pierre pour créer un monde où l’homme apparaît tour à tour mélancolique tendre et énigmatique
L’urgence de créer s’inscrit dans une routine exigeante. Serge Labégorre continue de travailler tous les jours pour poursuivre une recherche qui est sa vie même. « Je suis malheureux quand je ne peins pas, c’est une drogue, reconnaît-il. Et plus le temps passe, plus je peins, avec moins d’énergie certes, mais il m’est impossible de m’en passer. » Poussé par ce désir permanent, il a encore une fois réussi ce prodige : créer un nouveau trait, proposer un nouveau geste pictural. Les toiles présentées à la galerie Bourdette, toutes récentes, dessinent le parcours d’un artiste qui réinvente sans cesse son métier. Des hommes d’église et de pouvoir y croisent des nus et des portraits. La théâtralité des œuvres accroche le regard. L’implacable profondeur de la présence ouvre le champ à la contemplation.
Serge Labégorre évoque sans fard ses influences, parmi lesquelles celle de Vincent Van Gogh tient une place particulière. Il rend d’ailleurs régulièrement visite aux toiles du maître hollandais lors de ses passages à Paris. De ce peintre-là, il admire la composition, le travail de la matière, la palette, mais par-dessus tout « une puissance exempte de toute mièvrerie ». Une définition que l’on pourrait appliquer à son propre travail. L’artiste attend que monte sur la toile une incarnation, un visage familier. « La peinture pense. Comment ? C’est une question infernale. Peut-être inabordable par la pensée », écrit Georges Didi-Huberman dans La Peinture incarnée*. « La peinture est bouleversement, c’est un choc affectif, une solitude qui cherche d’autres solitudes », pourrait répondre Serge Labégorre.
La quête sans cesse renouvelée de la figure humaine est également ce qui motive Jean-Yves Gosti. Le sculpteur extrait de leur gangue de pierre des silhouettes et des visages. Lui aussi fait part de cette urgence de créer, de cette attente patiente d’une apparition. « J’aime l’ivresse que la création me procure, explique l’artiste. Imaginer avec la pierre, l’écouter plutôt que lui parler. Imaginer avec elle ce que deviendra la sculpture, voila la vraie création. » Rudesse du granit, douceur des expressions : c’est ce contraste qui accroche l’attention, puis qui provoque l’émerveillement. Ces deux artistes-là ont en commun une soif que rien n’éteint, l’acte de créer comme nécessité vitale et l’humain comme ultime frontière.
* Ouvrage paru aux éditions de Minuit en 1985 (Collection « Critique », 168 pages).