Un nouvel arbre s’est dressé en quelques heures dans le parc du château de Chaumont-sur-Loire ! Spectaculaire, l’œuvre de Giuseppe Penone témoigne de la réflexion sur la nature et sur l’homme que l’artiste italien mène depuis 1968, date de sa première exposition et de son inscription par Germano Celant parmi les représentants de l’Arte Povera.
Dans le parc du château s’active un petit groupe d’hommes. Les visages sont graves. Un engin monté sur vérins hydrauliques fait monter dans les airs une nacelle occupée par deux hommes. De toute évidence, celui qui porte un bandana rouge dirige la manœuvre. C’est lui qui, à la fonderie, a suivi toutes les étapes de la réalisation de l’œuvre. Au pied de l’arbre en bronze : Giuseppe Penone demeure concentré. Invité du Domaine de Chaumont-sur-Loire, il est arrivé la veille. L’artiste italien qui, il y a encore quelques jours, comptait parmi les enseignants de l’école des Beaux-Arts de Paris, ne se consacre désormais plus qu’à son art. Idee di pietra, immense pièce de trois tonnes, ressemble à s’y méprendre au châtaigner nu et malade qui lui a servi de modèle, si ce n’est qu’elle porte cinq pierres en équilibre à la base de ses branches. La vision est spectaculaire. Installée dans un espace libre du parc mais à proximité de cèdres et d’hêtres centenaires, elle vient distiller un sentiment d’étrange.« Une interaction entre les matières »
Cet arbre sans feuilles est un mystère. Les pierres sont fichées là comme laissées dans le sillage d’un fleuve titanesque. « Ce sont le Tanaro et l’Orco qui les ont travaillées. Choquées, abrasées par les eaux, elles ont perdu toutes leurs aspérités. Ces cœurs de pierre soulignent la structure de l’arbre. Leur forme épurée touche à la perfection. » Une sculpture tout droit sortie de la mythologie de son créateur. Elle rappelle l’appartenance de Giuseppe Penone à l’Arte Povera et la façon singulière qu’il a eu de s’y intégrer. Originaire d’un village de Ligurie, il a grandi au rythme des saisons, des moissons et autres récoltes. Marqué par les couleurs et par les formes de son environnement. Son œuvre est le témoin d’une réflexion sur la nature et sur l’homme qui la transforme. Mais n’est-ce pas aussi l’inverse ? Cet adepte du mouvement en miroir n’aime rien tant qu’expliquer en quoi elle et nous ne sommes guère différents. « Il y a toujours une interaction entre les matières. Si l’on prend l’exemple du modelage : le sculpteur réalise une forme et devient, dans le même temps, le négatif de cette dernière. » Même un simple stylo peut façonner la main qui le tient. Tout est une question de temps. Bientôt, la patine des jours donnera à Idee di pietra la couleur du lieu. Et l’artiste d’évoquer les écrits de Plutarque sur les bronzes de Delphes.[[double-hv240:1,2]]
A quelques pas, un arbre véritable au tronc boursouflé garde l’entrée d’un bosquet jusqu’alors demeuré intact. Ici commence l’Arbre-chemin, un chemin qui dessine un arbre comme l’ombre portée de celui en bronze tout proche. Les deux œuvres sont liées, évidemment. L’itinéraire dans ce petit bois aux fées empli de noisetiers, de tilleuls et de lauriers est balisé par une haie tout juste plantée et encadrée par des fils en métal. Le rendu souhaité ne sera visible que dans deux ou trois ans, précise l’artiste. Un seul passage mène de l’autre côté, les autres sont des impasses. A l’extrémité de l’une d’entre elles, deux pierres déposées à même le sol sont quasiment dissimulées par la verdure printanière. « Quand vous travaillez à l’extérieur vous ne disposez que de peu de matières : la pierre, le granit, le marbre, l’inox, le bronze et la végétation qui revient chaque année. L’œuvre est faite à partir d’une logique qui justifie la forme et l’action sur la forme », explique Giuseppe Penone tout en débouchant à l’autre extrémité du bosquet et s’effaçant devant le dernier élément de l’Arbre-chemin : une main en bronze enserrant le tronc d’un jeune chêne d’Amérique. L’empreinte de l’homme sur la nature, du créateur sur sa création.L’importance du processus de création
« Une première pièce semblable date de 1968. » Cette année-là, l’artiste prend d’abord une photographie de sa main tenant un tronc d’arbre et réalise ensuite un bronze de son appendice, qu’il fixe à l’endroit immortalisé par la prise de vue. Il poursuivra sa croissance sauf en ce point met en évidence les conséquences d’une même action dans des temps différents. Si Giuseppe Penone serrait suffisamment longtemps de sa main un endroit précis de l’arbre, ce dernier se développerait tout autour du point de compression. Pour preuve, un cliché datant de 1978 où l’on peut observer des protubérances d’écorce tout autour des doigts de bronze. « La signification de l’œuvre n’a pas changé et j’espère que cette dernière a toujours du sens. Ce geste exprime un rapport tactile à la matière. Dans l’enfance, la vision se forme par le toucher. Puis le regard prend le pas. Il faut fermer les yeux pour comprendre le volume d’une œuvre. Elle porte une empreinte, elle est l’identité de l’artiste. » L’Arbre-chemin met l’accent autant sur le processus de création que sur la réalisation. Le sculpteur agit comme le ferait tout autre élément naturel en transformant ce qu’il touche sans jamais en maîtriser entièrement le devenir et ainsi révèle la vie en profondeur : l’inexorable mouvement du monde.