Art brut et dissident – L’âme à nu

A l’heure où l’art brut éveille un regain d’intérêt, avec notamment la récente inauguration du musée Lille métropole qui accueille dorénavant dans ses collections les œuvres de la donation l’Aracine, une certaine inquiétude se manifeste parmi les plus âpres défenseurs de cette création hors normes devant la confusion induite par la dénomination même de cet art si particulier. Choisie par l’artiste et collectionneur Jean Dubuffet, l’expression « Art brut » tend à effacer les frontières fragiles qui séparent le domaine de la création élaborée de celui de l’expression spontanée. Un flou qui tend à brouiller la lecture habituelle des œuvres si on oublie les origines et les motivations de ces créateurs dissidents. Surgi de la folie, de l’enfermement, de l’exclusion, cet art marginal, grâce à quelques visionnaires, médecins, intellectuels et artistes s’est vu reconnaître, non sans controverses, comme une création à part entière. Loin des préoccupations habituelles de l’artiste aux prises avec des considérations esthétiques et/ou techniques, le créateur d’art brut répond à une nécessité impérieuse et vitale d’exprimer ou plutôt de construire son univers intime, à la recherche de sa propre identité, de ce qui a été enfoui, oublié ou encore refoulé après un traumatisme. Engagé dans un processus qui fait lien avec le monde qui l’habite et qui souvent le hante, ses visions appartiennent au plus intime de son être, de sa chair, et ne visent aucune reconnaissance esthétique de l’autre. De ces œuvres au caractère obsessionnel et répétitif, indemnes de culture, de références artistiques, comme le souligne Jean Dubuffet, émane la puissance d’une souffrance mise à nu. Dénuées de faux-semblants, ces créations sont autant de cris de vérité qui nous interpellent. Aujourd’hui nombre de créateurs recherchent cette spontanéité et cette authenticité. Ils tutoient l’art brut sans toutefois toujours en posséder l’innocence, cherchent dans le moindre geste, le moindre matériau, sa qualité majeure : la sincérité, et viennent se ranger sous les bannières de l’art singulier, dissident, hors norme ou insolite, en tout cas résolument à part.
Anne-Marie Gbindoun, courtesy Musée de la Création Franche
Sans-titre, Anne-Marie Gbindoun, 2009
Le musée de la Création Franche présente chaque année sous le titre Visions et créations dissidentes, un ensemble d’artistes venus de tous horizons qui ont en commun de voir et ressentir le monde autrement. Les dessins de Giuseppe Barocchi, réalisés au stylo à bille et aux crayons de couleur, représentent l’ultime lutte entre le bien et le mal dans une mise en scène chaotique où s’entremêlent images et mots. Du pastel à l’aquarelle en passant par l’acrylique, Gwenaëlle Clabault brosse le portrait de personnages et de paysages que ses balades dans les musées lui ont inspiré. Dans un tourbillon de couleur et de hachures les visages et silhouettes d’Anne-Marie Gbindoun semblent surgir des profondeurs. Tandis que Kim Nawara puise ses modèles dans l’histoire de l’art, son travail révèle une grande maîtrise de la couleur. De manière peu surprenante pour un ancien journaliste, les dessins d’Huub Niessen se fondent avec des textes au contenu fortement symbolique dénonçant les difficultés de communication entre les hommes. Les travaux de Fanny de Oliveira nous entraînent dans les coulisses de la Commedia dell’ Arte. Et même si le drame est omniprésent, l’artiste, en jouant des contrastes, semble se délecter de la matière qu’elle manipule avec grande dextérité. Elevée au rang d’icône la pomme de terre, sous les traits de Serge Paillard, révèle une féerie de paysages imaginaires enfouis sous la peau de cette simple légumineuse et néanmoins reine sur nos tables. Tantôt joyeux ou effrayé, le petit d’homme s’incarne dans la terre rouge que travaille Jean Nicolas Reinert. Chacune de ses sculptures cuites au raku est l’expression d’une situation vécue dans sa chair ou observée alentour, commente l’artiste. Un arrêt sur image.
Jean Nicolas Reinert, courtesy Musée de la Création Franche
Série le Petit d’homme., Jean Nicolas Reinert
Gwenaëlle Clabault, courtesy Musée de la Création Franche
Personnages du Nord, Gwenaëlle Clabault

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Jusqu’au 28 novembre au
Crédits photos
Sans-titre. © Kim Nawara, courtesy Musée de la Création Franche,Sans-titre © Anne-Marie Gbindoun, courtesy Musée de la Création Franche,Suite de « L’Ecole » © Fanny de Oliveira, courtesy Musée de la Création Franche,Personnages du Nord © Gwenaëlle Clabault, courtesy Musée de la Création Franche,Sans-titre © Giuseppe Claudio Alfredo Barocchi, courtesy Musée de la Création Franche,Série le Petit d’homme. © Jean Nicolas Reinert, courtesy Musée de la Création Franche, © Serge Paillard, courtesy Musée de la Création Franche
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